Malgré la réalisation de sa concertation publique durant le précédent mandat, le projet de ligne E du métro de Lyon est renvoyé aux calendes grecques par Bruno Bernard (EELV), simultanément président de Lyon Métropole et du Sytral, l’autorité organisatrice des transports dans l’ensemble du département du Rhône.

 Ayant placé l’idée d’un téléphérique depuis Francheville devant tout autre projet vers l’ouest de Lyon, zone urbaine dense notoirement sous-équipé en transports publics lourds, la nouvelle présidence tente de faire bonne figure en jouant un coup de billard à trois bandes. Devant la levée de boucliers face au projet de téléphérique, notoirement sous-capacitaire, et devant le report sine die des travaux de la ligne E vers Tassin, les élus « écologistes »  lancent une nouvelle concertation sur l’extension du réseau de métro, mais en mettant en concurrence quatre segments de lignes nouvelles. On masque ainsi un renoncement en entretenant la braise d’un feuilleton qui n’en finit pas alors que le métro lyonnais ignore largement les banlieues nord, ouest et sud.

La guerre entre les projets rallumée… avec de nouveaux retards en perspective

 Si cette manœuvre permet de faire avaler la couleuvre d’un report de six ans au moins du début des travaux de la ligne E, elle rallume une guerre entre territoires dont le résultat, vu le contexte budgétaire métropolitain, ne peut déboucher que sur une nouvelle procrastination. Lyon n’a pas la chance de Paris qui, à la fin du XXe siècle, a vu le gouvernement Rocard refuser de trancher entre la ligne 14 de métro automatique et le RER Eole… en décidant que ces deux réalisations somptuaires seraient réalisées simultanément. Et qui le furent.

DSCN3807Rame à deux caisses indépendantes de la ligne D du métro de Lyon, entièrement automatisée, à la station Saxe-Gambetta. Les deux axes périurbains desservis par le réseau de métro courent tous vers l'est (ligne A au nord-est, ligne D au sud-est). L'Ouest lyonnais, qu'il soit proche (Ve arrondissement, Tassin) ou plus lointain (Craponne...), enclavé à cause de la topographie, est notoirement à l'écart des lignes lourdes, malgré le train-tram de l'Ouest-lyonnais, au statut TER. ©RDS 

 La mise en service d’une nouvelle section de ligne de métro à Lyon ne pourra désormais dans le meilleur des cas être ouverte au public avant une quinzaine d’années. De quoi indigner la présidente du Sytral durant la précédente mandature, Fouziya Bouzerda (Modem), élu à Lyon désormais dans l’opposition, et son collègue Cyrille Isaac-Sibille (Modem). « Je ne rentrerai pas dans le débat pour ou contre le téléphérique, le vrai sujet, c’est le métro E », a déclaré ce dernier lors d’une conférence de presse le 22 janvier dernier. Le premier projet de téléphérique ou télécabines est annoncé entre Francheville, sur le plateau ouest dominant la rive droite de la Saône, et la rive gauche du Rhône, via la presqu’île.

  « Ce téléphérique ne permet pas d’atteindre les objectifs (de maillage et de capacité, NDLR) », a déclaré pour sa part Fouzya Bouzerda, qui estime que « les choses sont faites à l’envers puisque le projet (de téléphérique) est inscrit comme plan de mandat alors que la concertation avec les habitants n’est pas faite ». Les deux élus de l’ancienne majorité ont répété qu’en revanche, la concertation publique ayant été réalisée, les travaux du métro E eussent pu être entamés « dès 2025 ». Notons que l’élu LREM Yann Cucherat, élu du Ve arrondissement qui siège aussi sur les bancs de l’opposition municipale et métropolitaine,  a lancé un collectif citoyen pour une réalisation prioritaire du métro E.

La nouvelle majorité EELV menée par Bruno Bernard veut marquer une rupture

La nouvelle majorité à dominante EELV, bien que Bruno Bernard soit un ancien élu socialiste reconverti au parti « vert », entend pour sa part marquer une rupture avec la mandature précédente. Il priorise l’expulsion de la voiture du centre par multiplication des lignes de tramways et le lancement de lignes de téléphériques, mode coûteux au regard de ses faibles capacités unihoraires, s’insérant mal dans le réseau existant  en raison des dénivelés importants pour accéder aux cabines aériennes, et visuellement impactant, surtout dans une zone urbaine dense où les lignes devront circuler à l’aplomb des habitations.

 Bruno Bernard, lors de son élection à la tête du Sytral le7 septembre 2020, avait annoncé qu’il voulait porter l’investissement dans les transports publics lyonnais de 1,1 milliard d’euros à 2,5 voire 3 milliards d’euros pour les cinq ans et demi de mandat à courir. Mais les extensions du réseau de métro, qui connaît une affluence considérable, en particulier la ligne E ouest-centre, passaient désormais après le téléphérique semblent reportées aux calendes grecques. Quant aux extensions du réseau de tramways, elles concerneront exclusivement l’extension vers l’est lyonnais et la maillage est de la zone dense de l’agglomération.

 Remettre sur le tapis le choix de la future extension du réseau de métro – on n’imagine pas qu’il puisse y en avoir deux d’importance simultanément – revient à revenir en arrière et à allumer une guerre des territoires. On notera que parmi les quatre projets mis à l'étude, la prolongation sud de la ligne B au-delà de son futur terminus Saint-genis Laval pour donner correspondance au flux routier provenant de Saint-Etienne n'est pas évoqué.

La ligne E vise à rapprocher le métro d’un Ouest lyonnais enclavé ; une extension de la B viserait à desservir le plateau nord

 On trouve bien sûr la ligne E sur cette ligne de départ, ainsi reportée d’une décennie. Son projet avait été lancé en 2014 par Gérard Collomb pendant la campagne des municipales qui avaient vu la réélection de ses listes. Prévu dans un premier temps de Bellecour à Tassin-la-demi-Lune Alaï (en concurrence avec un itinéraire amorcé à Hôtel-de-Ville), son origine avait ensuite été reportée de Bellecour à Part-Dieu, ajoutant au projet initial un maillage urbain optimal entre la première gare lyonnaise et le cœur de Lyon. A ce jour, tout parcours de la Part-Dieu à Bellecour impose un changement : soit par le nord à Charpennes (ligne B/ligne A), soit par le sud à Saxe-Gambetta (ligne B/ligne D). L’itinéraire tramway par la ligne T1 relie Part-Dieu à Perrache sans passer par Bellecour : sa station Guillotière, la plus proche, exige la traversée du Rhône à pied. Cout estimé du projet de la ligne E : 1,5 milliard d’euros.

DSCN2607Rame de la ligne C du métro de Lyon à roulement fer et partiellement à crémaillère, proche de son terminus nord de Cuire. Son extension vers l'est sur le plateau pour rejoindre un prolongement nord de la ligne B depuis Charpennes permettrait de créer un maillage intéressant. ©RDS 

 Concurrençant désormais le projet de ligne E, on trouve ensuite le projet de prolongation de la ligne B au nord jusqu’à Rillieux-la-Pape, pour desservir le plateau au nord de la Croix-Rousse depuis l’actuel terminus Charpennes. Cette extension imposerait d’importants travaux à Charpennes, le terminus de la ligne B y ayant été conçu à l’économie, avec voie unique à quai sur ce qui est un raccordement de service avec la ligne A, au même niveau. Une neutralisation de la section Brotteaux-Charpennes de la ligne B serait donc nécessaire pour effectuer le creusement du prolongement sous la ligne A et son raccordement à l’actuelle ligne B. Un remaniement total de la station Charpennes serait indispensable.

 Le passage du Rhône pourrait être sous-fluvial ou en viaduc pour atténuer le différentiel d’altitude de la zone de la montée des Soldats. Enfin, ce projet trouverait toute sa pertinence s’il était accompagné du prolongement de la ligne C depuis Cuire pour venir en correspondance avec la B. Notons enfin que sur le parcours jusqu’à la rive gauche du Rhône, un prolongement de la ligne B doublonnerait avec les lignes de tramway T1 et T4, en tronc commun avec, il est vrai, une desserte fine de cette zone universitaire.

La prolongation de la ligne A jusqu’à Décines pour accélérer l’axe du T3 ; la D à La Duchère

 Autre demande venant des élus locaux, la prolongation de la ligne A jusqu’à Décines et son Grand Stade depuis Vaulx-en-Velin-La Soie. Cette nouvelle section doublonnerait avec la ligne T3 qui, dans cette zone, affiche de longues interstations et, partant, une vitesse commerciale assez élevée. Mais une ligne A prolongée accélèrerait encore l’axe et augmenterait sa capacité.

 Enfin, dernière proposition d’extension, celle de la ligne D Gare-de-Vénissieux – Gare de Vaise côté ouest jusqu’à La Duchère,  afin de desservir cette zone d’habitat social en cours de réhabilitation tout en offrant une porte d’entrée aux flux provenant des monts d’Or et de ses zones d’activités technologiques.

 Le Sytral va donc ajouter aux études de la ligne E, déjà réalisées, d’autres études sur la rentabilité socio-économiques et les contraintes topographiques des projets nouvellement mis en concurrence. Elles pourraient être publiées avant l’été. Jean-Charles Kohlhaas, vice-président de la Métropole de Lyon et vice-président délégué du Sytral a expliqué au magazine Lyon Capitale : « On va trancher en fonction de plusieurs critères d’intérêt général. C’est le cas par exemple du nombre de personnes concernées en termes de report modal réel. Je ne veux pas préempter le débat, mais il y a des zones où des dizaines de milliers de gens n’ont pas de transport collectif sérieux. Il faut donc voir si le métro répond bien aux besoins de ces gens ».

Le projet de ligne E dessert un Ve arrondissement comptant 50.000 habitants

MénivalQuartier de Ménival, dans le Ve arrondissement de Lyon, à la limite de la commune de Tassin-la-Demi-Lune. Du logement social en grand nombre, avec une liaison en transport public imposant, pour aller au centre de Lyon, soit une rupture de charge à Gorge-de-Loup avec la ligne C24, soit un long parcours accidenté via la montée de Choulans. (DR)

Nous noterons que le projet de ligne E, le plus avancé, dessert le Ve arrondissement (50.000 habitants), constitué du Vieux Lyon sur la rive droite de la Saône mais surtout du plateau qui le surplombe avec les quartiers de Fourvière, Saint-Just, Trion, Point du Jour, Champvert et, plus à l’ouest, le quartier de Ménival et des Battières, composé de onze tours et barres de logements sociaux abritant près de 4.000 habitants, à la limite de la commune de Tassin-la-demi-Lune.

 La ligne E devrait desservir ce dernier quartier avant de terminer environ un kilomètre plus loin, au carrefour d’Alaï. Là, elle serait en correspondance avec la branche Brignais du train-tram de l’Ouest lyonnais, dont la station Alaï, à voie et quai unique, est notoirement sous-utilisée.

 Actuellement, ce plateau et Tassin sont principalement desservis par deux faisceaux de lignes de bus. Le premier, constitué de cinq lignes amorcées à Perrache ou Bellecour via la dangereuse montée de Choulans, dessert l’ouest (Charcot) et le sud (Francheville)  du plateau, et comprend une ligne en boucle jusqu’à Gorge-de-Loup (C21). Le second, amorcé à Gorge-de-Loup où il relève la correspondance avec la ligne D du métro, est constitué de huit lignes desservant la Demi-Lune, Tassin, Ménival, Alaï et au-delà vers Craponne et les monts du Lyonnais (Brindas, Thurins et jusqu’à Chazelles-sur-Lyon).

Le terminus de la ligne E à Alaï raccourcirait les faisceaux de lignes routières

 Un terminus de la ligne E à Alaï permettrait un raccourcissement considérable de ces faisceaux de lignes routières, en reportant les têtes de nombreuses lignes de Bellecour/Perrache et Gorge-de-Loup jusqu’à Alaï, la boucle de la C21 maintenue pouvant effectuer un service de rabattement interne au plateau du Ve arrondissement et à Tassin entre Gorge-de-Loup et Alaï.

DSCN3240Rame du train-tram de l'Ouest-lyonnais au départ de Lyon Gorge-de-Loup vers Ecully et Tassin. La desserte urbaine du plateau du Ve arrondissement et de Tassin, elle, est exclusivement assurée en mode routier, sur des voiries chargées malgré  une populaiton importante et un trafic de transit considérable au-delà de Tassin vers Craponne et au-delà. ©RDS 

 Relevons pour terminer que des voix se sont élevées pour substituer au projet de métro E une extension en souterrain jusqu’à Part-Dieu des trains-trams de l’Ouest lyonnais qui terminent à la gare Saint-Paul. Cette idée, séduisante, se heurte à deux objections.

 D’abord, il faudrait résoudre la différence de gabarit de caisses entre les trains-trams (2,65 m) et les tramways du réseau urbain (2,40 m) qui complexifierait l’exploitation d’une interconnexion hautement souhaitable avec la ligne T3 sur l’axe Aéroport-Saint-Exupéry-Meyzieu – Sain-Bel/Brignais/Lozanne, ainsi constitué.

 Ensuite, ce projet ne résoudrait pas le « point aveugle » du réseau lourd que constitue l’axe Tassin-Craponne et ses au-delà, soit « l’Ouest lyonnais central », jadis desservi par le faisceau à voie métrique électrifié du FOL (Fourvière-Ouest-Lyonnais) et sa continuation en traction autonome de Messimy à Saint-Symphorien-sur-Coise par la ligne du CRL (Chemins de fer du Rhône et Loire). Tous ont été stupidement fermés aux voyageurs en 1933 (FOL vers Mornant), 1935 (CRL), 1954 (FOL vers Vaugneray), et l’important viaduc d’Alaï démonté, alors que cette zone est en forte croissance démographique et son trafic routier cauchemardesque.

DSCN3803Autocar des "Cars du Rhône/Sytral" en service sur la ligne 2EX Chazelles-sur-Lyon et Lyon Gorge-de-Loup, à la station Saint-Symphorien-sur-Coise Charles-de-Gaulle. Cette ligne, longue de 46 km, offre 20 allers-retours quotidiens, une fréquence exceptionnelle pour un parcours de cette longueur. Un report de la correspondance avec le métro de Gorge-de-Loup (ligne D) à Alaï (future ligne E)  raccourcirait le linéaire de cette ligne d'environ 3,8 km en zone urbaine... et celui de nombreuses autres lignes routières. Il allègerait le trafic bus sur la dangereuse et embouteillée montée de Choulans, entre le plateau et la Saône. ©RDS