Le fret moins impacté que les voyageurs par la crise, trafics nouveaux: sucre (Captrain), clinker (Regiorail), divers (Railcoop)

 Le transport ferroviaire des pays de l’Union européenne a perdu 26 milliards d’euros de chiffre d’affaire en raison des mesures restrictives prises en 2020 pour contrer la pandémie de coronavirus chinois, dit Covid19, indiquent les chiffres de la CER (Community of European Railway and Infrastructure Companies).

 Mais dans cette débandade, le fret s’en sort nettement mieux que les voyageurs, ce qui est logique puisque les confinements concernaient les déplacements de personnes et, côté fret, impactaient principalement les biens de consommation finale à forte valeur ajoutée. Pour autant, une série d’initiatives surviennent en ce début d’année, comme le transport massif de sucre emporté par Captrain, filiale de la SNCF qui a absorbé VFLI, son autre filiale de fret intérieur, le mois dernier.

Le fret ferroviaire européen a ralenti ses pertes à  la fin de l’année, retrouvant son niveau normal

 Le secteur européen du transport ferroviaire de fret a perdu 2 milliards d’euros en 2020 par rapport à 2019, soit une baisse de 12 %. Côté passagers, la perte a été considérablement supérieure puisqu’elle s’est établie à moins 41 milliards d’euros, soit une chute de 42 % par rapport à 2019.

Rame mixte fret wagons couverts-wagons porte-autos, ECR/DBAG sur la ligne du Languedoc. Le transport d'automobiles a beaucoup souffert des confinements, entraînant une chute de la consommation d'équipements en raison de la crainte des ménages face à la brutalen récession économique. ©RDS 

 La CER lors d’une assemblée générale par vidéoconférence le 26 janvier, a commenté ces chiffres  en ces termes : « Nous espérons tous un avenir meilleur au seuil de cette Année européenne du Rail, mais ces chiffres nous renvoient à une dire réalité. (…) Les chiffres collectés pour 2020 traduisent l’impact financier alarmant du Covid19 sur le chemin de fer ».

 Le fret semble avoir ralenti ses pertes durant la seconde moitié de l’année 2020. L’année dernière, indique la CER, les volumes transportés ont d’abord chuté de 30 %, avant de retrouver leurs niveaux habituels à la fin de l’année. En revanche, la situation de services voyageurs se sont repliés à nouveau à l’automne, après un court rebond durant l’été, affichant une rechute de 50 % en décembre par rapport à décembre 2019.

Trafic international : le sucre de Cristalco bascule de la route et rail entre France et Espagne

Train-bloc de conteneurs pour vrac (fournis par Combipass) tracté par une locomotive de Captrain Espana. Les distances parcourues par ces flux de sucre commandés par Cristalco s'étagent entre 1.300 et 1.450 km. (Doc. Captrain) 

 Pour illustrer les efforts de résilience du fret ferroviaire, on notera le basculement d’un transport passif et régulier de sucre de la route vers le rail entre la France et l’Espagne. Ce trafic, emporté par Fret SNCF et Captrain España auprès de la société Cristalco, a commencé en janvier avec un premier train entre Sillery et Pithivers côté français, Valladolid et Valence, côté espagnol. Des distances sétageant entre 1.300 et 1.450 km. Cristalco, dont le siège est à Villette-sur-Aube, est la quatrième entreprise européenne sur les marchés du sucre, des alcools et du bioéthanol, coopérative issue de la fusion  de quatre sucreries industrielles en 2000. Ses produits sont commercialisés sous la marque Cristal Union.

 Le marché emporté par Fret SNCF va permettre de retirer chaque année 3.600 circulations de camions longues distances des routes grâce à la rotation d’un train complet par semaine. Cela correspond à l’économie de 5.000 tonnes de CO2, explique le tractionnaire. Les charges sont contenues dans des conteneurs pour vrac du loueur de matériel ferroviaire de fret avignonnais Combipass.

 Du côté des autoroutes ferroviaires, le trafic géré par les sociétés Lorry Rail, ViiA (SNCF) et Autoroute ferroviaire alpine (AFA) est remonté à « une réservation toutes les trois minutes depuis le début de l’année ». La seule autoroute ferroviaire Calais-Le Boulou affiche dix départs hebdomadaires, avec une solution train+ferry simplifiée pour les transporteurs espagnols spécialisés sur le Royaume-Uni. ViiA assure par ailleurs 19 allers-retours hebdomadaires entre Anvers, Bettembourg et Le Boulou.

Schéma de l'autoroute ferroviaire Calais-Le Boulou et ses au-delà. Des camions poursuivent sur ferries vers le nord, sur route vers le sud... en attendant d'amorcer certaines de ces circulations dans la région de Barcelone. (Doc. ViiA)

Trafic intérieur : nouveau flux de clinker mixte rail/fleuve entre Sète et Portes-les-Valence, Froid Combi depuis Avignon

En trafic intérieur français, Eurorail-Regiorail annonçait récemment la première circulation, le 21 janvier, d’un train de clinker depuis le port de Sète jusqu’à Rhône Ciments près de Valence, soit environ 230 km. Ce flux participe à l’alimentation de la nouvelle usine cimentière Rhône Ciments du groupe Cem’In’Eu, implantée dans la zone industrielle de la Motte à Porte-lès-Valence (Drôme). La voie ferrée et la voie fluviale se partagent ce nouveau trafic de 4.000 tonnes de clinker (calcaire et aluminosilicates) par an.

 Une installation terminale embranchée a été construite, avec création de 400 m de voie ferrée nouvelle. Des conteneurs sur mesure ont été conçus par VTG AG pour optimiser chaque trajet. « Le démarrage de Rhône Ciments signe l'avènement d'un nouveau business model cimentier sobre en émissions de carbone couvrant un territoire toujours plus important », indiquent les entreprises.

Le 1er février, Froid Combi, détenu à 49% par SNCF Logistics, le reste par Stef et ID Logistics, a lancé ses rotations entre Avignon, Valenton (MIN de Rungis, à 20 km) et Dourges. Cinq allers-retours hebdomadaires circuleront, tractés par Captrain (ex-VFLI), tractionnaire unique de l'entreprise désormais. Cette nouvelle ligne s'ajoute à deux autres, existantes rayonnant depuis Avignon. Notons que Froid Combi continuue de gagner des clients malgré la crise sanitaire. L'opérateur envisage le lancement d'une ligne entre l'Espagne et le nord de la France en 2023.

Nouveaux trafics de desserte régionale fine : Railcoop va démarrer…

Railcoop, nouvelle entreprise coopérative rendue célèbre par son projet de rétablissement d’un service voyageurs entre Lyon et Bordeaux, est déjà devenue une entreprise tractionnaire de fret. Elle a pris le parti de créer une sorte de « tapis roulant » offert aux entreprises de l’Aveyron du Lot et du Tarn sur le trajet reliant Viviez-Decazeville-Capdenac à Saint-Jory, aux portes de Toulouse, soit 168 km. Il s’agira d’une navette quotidienne circulant à heure fixe, composée de wagons couverts acceptant des palettes, d’une capacité équivalant à 26 camions.

Schéma de l'offre de desserte régionale fret proposée par Railcoop entre nord-Aveyron et métropole toulousaine.

 Sur cet axe,  indique Railcoop, circulent 700 camions par jour, de quoi permettre à Railcoop de se lancer bien que les entreprises déjà intéressées ne permettent pas à elles seules d’équilibrer financièrement le service.

… et le Syndicat ferroviaire du Livradois-Forez prospecte du côté des déchets et du bois

 Plus à l’est, la Syndicat ferroviaire du Livradois-Forez, qui  est propriétaire des lignes Pont-de-Dore-Ambert-Sembadel-Darsac et de l’antenne Sembadel-Estivareilles, compte développer son trafic ferroviaire fret, pour l’instant limité au transport par Combrail de 38.000 tonnes de bobines de papier par an entre Giroux et Courpières, soit 11 km. La distance est réduite mais le train permet déjà d’économiser la circulation de 2.000 camions par an.

 Les nouveaux marchés visés par le réseau public local repris au réseau ferré national en 1987 visent le transport de déchets et de bois. « Les déchets des collectivités autour d’Ambert et de Thiers acheminent par la route près de 12 000 tonnes an de matières à l’incinérateur du Valtom à Cournon », dans le Puy-de-Dôme, explique le Syndicat. « L’un des projets consiste à expédier ces marchandises par le rail en constituant plusieurs plateformes de chargement/déchargement le long de la ligne (…) qui pourraient être réutilisées pour d’autres marchandises et favoriseraient les conditions du retour du fret en Livradois-Forez », poursuit-il.

Au fond, locomotive diesel récemment acquise par l'Agrivap auprès de la SNCF, en stationnement à Ambert. L'Agrivap exploite des trains touristiques, tandis que le seul trafic fret du réseau du Lvradois-Forez est exploité par Combrail. Au premier plan, des vélorails qui permettent à l'association d'exploiter une section de voie au nord d'Ambert. ©RDS

Côté bois, les dizaines de milliers d’hectares de hêtraies et de sapinières, sont exploités par de nombreux forestiers et certaines scieries sont implantées proches de la voie ferrée, comme à Sembadel, en Haute-Loire. Quotidiennement, des grumiers traversent villes et villages sur le territoire. Certains pourraient être candidats au rail.

Ces quelques exemples démontrent la pertinence du rail sur l’international comme sur le local, mais il faut que le réseau suive

On le voit à travers ces quelques exemples, le rail peut prouver sa pertinence tant sur de très longs trajets internationaux (des trains complets de sucre sur plus de 1.450 km) que sur des trajets inter-régionaux (du clinker sur 230 km) voire régionaux ou locaux (du papier sur 11 km). La capacité de l’infrastructure et la proximité des commerciaux et des organisateurs, tant des industriels que des territoires, sont les clés du transfert modal.

 Notons que 2021 a été choisie pour être l’Année européenne du Rail, correspondant à la mise en œuvre du quatrième paquet ferroviaire de « lois européennes » concernant le secteur.  La commission européenne et les gouvernements du bloc entendent faire en sorte que le rail devienne une alternative aux moyens de transport moins durables.

Locomotive diesel ECR en manoeuvre à Vénissieux, à proximité du chantier conteneurs. La capacité du rail alliée à la souplesse de la route pour les derniers kilomètres. ©RDS 

 Le directeur exécutif de la CER, Alberto Mazzola, a déclaré, commentant les chiffres du transport ferroviaire en 2020 : « La crise du Covid-19 a lourdement impacté le chemin de fer. Pour autant, le secteur ferroviaire montre sa résilience, sa capacité à participer à la lutte contre la pandémie et l’importance de son aide au retour de la bonne santé de notre société. Remettre l’économie européenne sur les rails tout en continuant à réduire les émissions globales constitue un double et urgent défi. L’Année européenne du Rail  constitue une reconnaissance opportune du rôle que le chemin de fer peut et devrait jouer sur ces deux fronts ».

 On attend des gestes significatifs du gouvernement français pour aller dans ce sens, en particulier pour le fret, avec pour priorité l’aménagement, sur le réseau, de nouvelles capacités et de nouveaux accès de desserte fine. Et la garantie de la pérennisation de celles qui sont menacées.

Comments

[jean-marie]

Pour la route on élargit

Pour le fer on réfléchit

Il faut un retour sur investissement immédiat, au moins pour les prochaines élections.

[DU65]

Il faut saluer les initiatives de Combrail et Railcoop qui sortent du modèle du transport longue distance type autoroute ferroviaire, port hinterland ou nouvelle route de la soie. Si notre société évolue vers une relocalisation des productions, ce genre de business model de transport ferroviaire sera affecté à moyen terme.

Mais il faut noter que rien n'est possible sans l'infrastructure. Or les pouvoirs publics vont toujours réussir à trouver des crédits pour réparer les routes défoncées par les camions, construire des ronds points voire des rocades de chef lieux de canton. Mais quand le même montant pourrait être consacré à pérenniser une ligne capillaire fret écoulant des dizaines voire des centaines de milliers de tonnes annuelles, bizarrement on n'arrive pas à trouver l'argent.