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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
31 décembre 2020

Réseau français électrifié en 1.500 V continu : une modernisation intéressante pourrait passer par le 3.000 V

 L’électrification des lignes de chemin de fer d'intérêt général s’est effectuée en France à partir de 1920, mais les vicissitudes de l’histoire technique ont débouché sur un réseau à deux tensions : 1.500 V continu, électrifié dans un premier temps, 25.000 V en courant alternatif monophasé, dans un second temps. La question de l’unification du système, qui aujourd’hui impose d’avoir presque systématiquement recours à des engins moteurs bi-courants en service intérieur, traverse régulièrement l’esprit des décideurs du ferroviaire. Mais l’unification n’est pas la seule réponse. Une amélioration du bilan financier et commercial du réseau à courant continu, le plus ancien, pourrait consister à passer du 1.500 V au 3.000 V.

L’Etat imposa en 1920 que les électrifications du réseau principal se fît en 1.500 V continu

 Les courants continus ont dominé l’électrification ferroviaire à ses origines : au tournant du XXe siècle sur les réseaux de tramways urbains (autour de 650 V), du métro de Paris (600 V puis 750 V) et sur la ligne Saint-Georges-de-Commiers-La Mure (2.400 V) à partir de 1903. Malgré des essais en courant alternatif 12.000 V 16 2/3Hz par la compagnie du Midi (entre Perpignan et Villefranche), l’Etat imposa en 1920 que toute électrification du réseau principal, alors concédé à cinq compagnies privées et deux services de l’Etat (Ouest et Alsace-Lorraine), s’effectuât en 1.500 V courant continu.

Carte établie par SNCF Réseau répertoriant les lignes électrifiées. Les courants sont symbolisés par des couleurs: vert pour le courant continu 1.500 V, le plus ancien, violet pour le courant 25.000 V alternatif monophasé 50Hz, établi à partir des années 1950. Le réseau historique français est divisé en deux grands secteurs électriques.

 Le choix du 1.500 V cc par l’Etat, opposé aux préconisations de la compagnie du Midi précurseur en la matière, semblait alors dicté principalement par la priorité donnée aux charges lourdes sur la fréquence. La contrepartie était la nécessité de disposer de sous-stations d’alimentation très rapprochées, au plus tous les 20 km, souvent beaucoup moins. 

 L’optimisation du rapport entre pantographe et caténaire imposait par ailleurs l’installation d’une double file de fils de contact, alourdissant considérablement son poids et son prix par rapport à des tensions dix à quinze fois supérieures en courant alternatif. Sous le câble porteur principal sont disposés un câble porteur secondaire qui porte  les deux fils de cuivre alors que le courant alternatif n’a besoin que d’un câble porteur et d’un seul fil de contact. Notons que le PLM avait choisi une électrification en 1.500 V cc par troisième rail au sol pour sa ligne Chambéry-Modane (1925-1930), réélectrifiée par caténaire en 1976 avec le même courant.

Dans les années 1950, la SNCF lança des électrifications en courant alternatif 25.000 V

 C’est à partir de la fin des années 1940, et alors que les réseaux germaniques avaient été électrifiés en 15.000V courant alternatif dès l’origine (à la fréquence de 16 2/3 Hz), que la SNCF expérimenta puis adopta le courant alternatif, sous sa forme industrielle, soit 25.000 V alternatif monophasé à la fréquence de 50Hz. La première application fut l’électrification sous cette tension du réseau savoyard, les étoiles d'Annecy et d'Annemasse, soit la ligne de la Roche-sur-Foron à Aix-les-Bains par Annecy, puis celle d'Evian (1972).

 Avantage du 25.000 V par rapport au 1.500 V : outre sa caténaire légère (voire, sur certaines sections de Savoie ou sur Saumur-Thouars, de simples fils trolley régularisés), il accepte un espacement bien plus important entre sous-stations, pouvant aller jusqu’à 60 km. Ce choix fut confirmé, sous la forme d’un doublement de la phase, pour les lignes à grande vitesse, électrifiées en 2 x 25.000 V alternatif, comme pour certaines électrifications à partir des années 1990.

DSCN2980Passage d'un train de citernes à Montpellier Saint-Roch, sous 1.500 V. Cette caténaire lourde, historique, a été mise sous tension en 1947, en prolongation de l'électrification antérieure par la compagnie du Midi de la ligne Toulouse-Sète. Ces installations anciennes défient le temps, mais les sous-stations sont nombreuses et certaines accusent leur âge. ©RDS

 Inconvénients du 25.000 V : l’importance du gabarit électrique qu’il convient de dégager autour de la caténaire, supérieur à celui nécessité par le 1.500 Vcc. Toute électrification en 25.000 V impose des reprises d’ouvrages (ponts, tunnels…) importantes et coûteuses pour dégager le gabarit néecessaire. Par ailleurs, le 25.000 V crée des perturbations électriques plus importantes et il impose des sectionnements avec ouverture du disjoncteur de l’engin de traction entre deux zones d’alimentation aux phases nécessairement non synchrones.

Avantages (peu de sous-stations) et inconvénients (gabarit électrique, perturbations…) du 25.000 V

 Ces données sont indispensables pour situer le dilemme devant lequel sont placés les ingénieurs et dirigeants du réseau : poursuivre avec deux réseaux aux courants différents dont le plus ancien se révèle coûteux à l’exploitation, surtout à une époque où les sous-stations anciennes doivent être renouvelées ; convertir le réseau électrifié en 1.500 Vcc en 25.000 V moyennant d’importantes reprises de gabarit et la construction de sous-stations radicalement neuves. Cette dernière opération, au demeurant, a déjà été effectuée, entre Bellegarde et Genève en 2014, dans la foulée de l’électrification en 25.000 V de Bourg-Bellegarde pour passage des TGV. Mais il s’agissait d’une section courte de seulement 33 km.

 En revanche, quand la SNCF a complété l’électrification du réseau méridional entre Bordeaux et Montauban (1980) et entre Narbonne et Port-Bou (1983), elle le fit en 1.500 Vcc, en partie pour éviter les ruptures de traction à une époque où le réseau voyait encore circuler de nombreuses locomotives électriques monocourant 1.500V. Il en fut de même pour Vierzon-Bourges en 1998. Sur Bordeaux-Montauban, l’électrification en continu se fit à l’économie, avec un nombre limité de sous-stations.

 C’est précisément sur cette dernière section qu’une autre réforme technique serait gagnante : le passage du 1.500 Vcc au 3.000 Vcc, qui doperait la puissance sans avoir à bouleverser le paysage électrique. C’est ce type de basculement qui  intéresse actuellement un certain nombre d’interlocuteurs.

Avantages du passage du 1.500 au 3.000 V : moins de sous-stations, gabarit et caténaire inchangés…

 Le 3000Vcc peut être une des solutions car son gabarit électrique est le même que celui qui a été prévu en France pour le 1.500 Vcc. Inutile donc de prévoir de gros travaux pour les ouvrages d’arts, parfois difficilement réalisables en particulier dans les tunnels (abaissement de la voie) ou sous les ponts (destruction-reconstruction). « De plus, indique un consultant du ferroviaire, le 3000Vcc n’engendrerait aucune perturbation sur les systèmes de signalisation par rapport au 1.500V ».

 Cet interlocuteur ajoute : « La caténaire 1500V peut être réutilisée sans problème pour le 3000V car elle est déjà suffisamment isolée pour cette tension. À terme, cette caténaire pourrait même être remplacée par une caténaire plus légère grâce au 3.000 V ».

DSCN2244TER au départ de Nîmes Centre pour Avignon Centre. On distingue nettement la structure de la caténaire 1.500 V, avec son câble de suspension principal, son câble de régularisation et ses deux fils de contact imposés par le voltage. ©RDS

  L’avantage technique du passage du 1.500 V au 3.000 V permettrait d’éviter d’appeler moins d’intensité pour une même puissance de traction, ce qui permettrait une économie de sous-stations, de l’ordre du tiers… ou d’avoir plus de puissance avec le maintien du même nombre de sous-stations.

 Rappelons que la puissance (P) exprimée en Watts est fonction de la tension en volts (U) multipliée par l’intensité en ampères (I), soit P = U x I. Une augmentation de la puissance permettrait des « décollages » plus faciles sur les lignes encombrées (nœuds ferroviaires, Tours-Bordeaux…) et des franchissements de déclivités plus aisés sur les sections aux profils difficiles (Chambéry-Modane, Châteauroux-Montauban, Béziers-Neussargues…). 

L’adaptation des sous-stations, principal chantier d’un passage du 1.500 V au 3.000 V 

 L’adaptation des sous-stations au doublement de la tension nécessiterait certes le changement d’une partie des composants des sous-stations actuelles, essentiellement les blocs transformateurs/redresseurs. En revanche, « les interfaces des sous-stations avec le réseau RTE et les caténaires resteraient identiques, de même que l’environnement en termes de compatibilité électromagnétique, de signalisation et de postes d’aiguillages », explique un professionnel.

 Le nombre de sous-stations à traiter, quant à lui, « dépend de la situation existante », poursuit notre interlocuteur. Il précise : « Si l'alimentation 1500V est faiblarde, toutes les sous-stations devraient être transformées. Il en irait de même si elle est correcte, mais alors on pourrait se passer des groupes de réserve. Si elle est bonne, on peut envisager de ne conserver qu'une sous-station sur deux : ce serait le cas entre Dijon et Lyon, où l’on dispose de sous-stations espacées de 8 km », construite à l’époque où cette section supportait la totalité du trafic voyageurs Paris-Sud-Est.

 Il existe enfin un autre élément plaidant pour cette conversion : la caténaire lourde deviendrait encore plus généreuse en 3.000 V, voire… surdimensionnée.

Le matériel moteur moderne n’aurait pas à subir de lourdes transformations

 Quant au matériel moteur, il est déjà largement préparé à une telle éventualité. Les engins  fonctionnant sous 1.500 V mis en service après 2000 (dont les moteurs ne fonctionnent pas directement sous courant continu), peuvent accepter facilement le 3.000 V à la place du 1.500 V par de simples branchements et modifications du bus informatique. Quant aux engins moteurs purement 1.500 V antérieurs à l’an 2000, ils tendent déjà à disparaître, tels les BB de 4.400 kW, les rames TER Z2…

Vintimille-VentimigliaGare frontière de Vintimille, sur l'axe international Marseille-Gênes, électrifié en 3.000 V continu côté italien et en 25.000 V monophasé côté français. A cet endroit, la caténaire est alimentée en... 1.500 V, permettant ainsi la circulation d'engins bicourants français et l'évolution à mi-puissance des engins italiens conçus pour le 3.000 V. (Doc. Wikipedia Clicksouris)

 On notera que les électrifications en courant continu 3.000 V ont été nombreuses en Europe. En Italie, en Espagne et en Belgique, les réseaux classiques électrifiés sont alimentés en 3.000 Vcc. Dans ces trois pays, les lignes à grande vitesse sont en revanche toutes électrifiées en 25.000 V. Le réseau classique néerlandais est pour sa part électrifié en 1.500 V mais le gestionnaire d’infrastructures ProRail réfléchit à une conversion avec deux hypothèses : soit un passage aux 3.000 V pratiqués aussi en Belgique, soit une conversion aux 25.000 V qui alimente la ligne nouvelle à grande vitesse et la récente Betuweroute fret.

Notons qu’un passage aux 3.000 V en France améliorerait surtout les échanges ferroviaires de la France avec l’Italie (Modane, Vintimille). La frontière électrique avec la Belgique, sur le réseau classique, sépare le 25.000 V français avec le 3.000 V belge. Quant à l’Espagne, son 3.000 V équipe le réseau à voie large.

L’organisation du grand basculement constituerait un grand défi…

 Pour la France, reste la délicate question de la période de basculement du 1.500 V au 3.000 V. L’adaptation des sous-stations, comme celle du matériel, ne pourrait pas s’effectuer du jour au lendemain. Or la continuité reste indispensable dans le cadre d’un service industriel continu tel que le chemin de fer, surtout sur les grandes lignes. Un relai temporaire par traction thermique paraît difficile. L’organisation du basculement par tranches géographiques cohérentes, moyennant neutralisation ou relais thermique pour un service minimal, constituerait la solution, quoique assez acrobatique.

DSCN3774Portique caténaires 1.500Vcc de la ligne historique de la plaine du Languedoc, sur la section électrifiée entre 1943 et 1947 entre Sète et Nîmes. La conversion au 3.000Vcc permettrait d'éviter le renouvellement d'un tiers environ des sous-stations et/ou d'augmenter la puissance mise à disposition des engins de traction. © RDS

 Là est probablement le principal défi, d’autant que le 1.500 V équipe des lignes historiques à gros trafics : les axes classiques Paris-Lyon-Marseille, Paris-Tours-Bordeaux-Hendaye, Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, Paris-Le Mans, Toulouse/Port-Bou-Marseille, Toulouse-Hendaye, Dijon-Bourg-Ambérieu, Lyon-Modane/Bellegarde, Givors-Grézan. Il alimente aussi une série d’antennes ou de lignes régionales, telles que Facture-Arcachon, Béziers-Neussargues,  Perpignan-Villefranche, Lyon-Saint-Etienne-Firminy, Toulouse-Latour-de-Carol…

 Un passage du 1.500 Vcc au 3.000 Vcc constituerait une véritable opération chirurgicale à coeur ouvert, nécessitant longs diagnostics, anesthésie temporaire, détournements de circulations et changements d’organes in vivo sur ce réseau historique à rajeunir. Le jeu n’est pas sans risques, mais il en vaut probablement la chandelle.

 Les chemins de fer néerlandais qui sont en train d’étudier la conversion de leur réseau au 3.000 volts, pourraient constituer un facteur d'incitation pour les décideurs de SNCF Réseau.

 

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Commentaires
E
J'imagine que pour Culoz-Modane, il y a des tunnels qui empêchent de passer en 25 kV? Parce que ça commence un peu à faire un îlot de 1500 V au milieu du 25 kV.
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M
Merci pour cette précision. Nous avons complété dans ce sens.
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R
Bonjour,<br /> <br /> Une petite remarque, qui n'enlève rien à l'intérêt de cet article : la section Annemasse - Evian n'a été électrifiée qu'en 1972.<br /> <br /> Bonne fin d'année.
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
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