L’hydrogène plutôt que la caténaire ? Tandis que l’Allemagne, dans le cadre de ses plans de relance, s’apprête à électrifier massivement et de manière classique (caténaires, poteaux et sous-stations) ses réseaux ferroviaires régionaux, la France paraît tourner le dos à toute nouvelle électrification de ce type. Malgré l’urgence, et alors que les gouvernants répètent ad nauseam qu’il faut généraliser l’automobile électrique avec forces batteries polluantes, les lignes ferroviaires en mode thermique ne semblent pouvoir au mieux espérer qu’une caténaire en pointillés avec biberonnage aux stations exigeant de très lourdes batteries (projet pour Aix-Marseille), ou des systèmes « à hydrogène ». C’est le projet de l’Occitanie pour Montréjeau-Luchon.
L’Occitanie s’est engagée sur l’hydrogène pour une petite antenne de 35,6 km
Certes l’Allemagne a acquis en 2018 des rames à hydrogène Alstom Coradia iLint pour une liaison rurale en Basse-Saxe autour de Bremerwörde, une petite ville de 18.000 habitants. Mais pendant ce temps la caténaire continue de tisser sa toile ailleurs, bouchant les « trous » du réseau électrifié afin d’éviter les ruptures de mode de traction. En France, la région Occitanie s’est engagée dans une exploitation par hydrogène d’une petite ligne destinée à être rouverte, Montréjeau-Luchon. Longue de seulement 35,6 km, elle fut fermée en 2014 en raison de la dégradation de la voie. En 2017 sa caténaire, mise sous tension le 2 janvier 1927, a été démontée en raison de la corrosion (bien naturelle) de ses poteaux nonagénaires.
Montréjeau-Luchon, une ligne en déclivité sur la quasi-totalité de son parcours, justifiant la propulsion par moteurs électriques. Mais, pour les alimenter, vaut-il mieux la pile à combustible hydrogène embarquée ou le couple pantographe-caténaire ?
Avec des déclivités de 17 pour mille et dans un contexte de chasse au diesel, Montréjeau-Luchon pourrait donc devenir une ligne-test pour cette technique de propulsion par moteurs électriques alimentés par pile à combustible. Le principe de cette dernière consiste à obtenir une réaction chimique de combustion du dihydrogène et du dioxygène, génératrice d’énergie électrique et d’eau.
Mais plusieurs objections viennent tempérer l’enthousiasme de la région Occitanie, soulignées par des consultants du ferroviaire interrogés par Raildusud. L’économie d’un renouvellement de la caténaire pourrait se heurter à des dépenses et des risques élevés.
Pour des directs Toulouse-Luchon, les caténaires équipent les 3/4 du parcours
La première, purement locale, est de voir une ligne de 35,6 km privée de caténaire dans un environnement ferroviaire totalement électrifié. La ligne du pied des Pyrénées Toulouse-Bayonne, sur laquelle elle est branchée, a vu son électrification bouclée dès 1924. Or la réouverture de Montréjeau-Luchon sera d’autant plus fondée qu’elle pourra accueillir des circulations voyageurs directes depuis Toulouse. Mais, sans électrification classique de l’antenne, ce type de train devra être exploité en matériel à hydrogène sur la totalité du parcours Toulouse-Luchon, soit 139,3 km au total, circulant ainsi sous caténaires entre Toulouse et Montréjeau sur 103,9 km, soit les trois-quart du parcours. Et qu'en serait-il pour des rames tractées à grand parcours, comme celle qui desservait la station depuis Paris jusqu'au milieu des années 2010 ?
La pimpante gare de Luchon, au coeur d'une commune équipée d'établissement thermal et d'une station de sports d'hiver et d'été. Sans oublier une usine d'embouteillage d'eau de consommation. Plus aucun train depuis 2014... sur une ligne électrifiée en 1927. (Doc : Wikipedia, Père Igor)
Or la mise en service de trains directs Toulouse-Luchon semble s’imposer : la station de ski et de sports d’été de Superbagnères est située sur la commune de Luchon (2.300 habitants), qui abrite aussi une célèbre station thermale avec séances de remise forme sur un ou deux jours en plus des cures. Le thermalisme luchonnais a beaucoup souffert de la fermeture de la ligne ferroviaire.
Notons aussi, pour le fret, qu’une usine d’embouteillage d’eau de consommation (SEML), qui emploie 25 salariés, produit 70 millions de bouteilles par an, toutes expédiées par route.
D’importantes installations de production et de stockage à proximité
La deuxième objection est la nécessité d’importantes installations au sol. L’hydrogène, gaz hautement inflammable au moindre contact de l’air, doit être produit et stocké à proximité de la ligne pour alimenter les rames afin de limiter son transport autant que faire se peut. Soulignons que l’hydrogène nécessite beaucoup d’énergie pour sa production, soit trois unité d’énergie pour une unité d’hydrogène, souligne notre consultant. Si cette production peut être réalisée en heures creuses à partir du réseau électrique – un argument favorable – il n’en reste pas moins qu’elle est actuellement largement réalisée à partir de gaz et de pétrole et qu'elle est émettrice de CO2.
La troisième objection concerne le matériel roulant. Ce type de propulsion par combustion de l’hydrogène exige l’installation de batteries-tampon dans le train, ce qui pourrait alourdir la masse à l’essieu. Or la propulsion électrique à partir d’une pile à combustible exige déjà le transport du combustible, ici l’hydrogène. Il s’agit donc d’un retour en arrière puisque tout l’effort des exploitants a consisté, avec l’électrification par caténaires, à libérer les engins de traction de la sujétion consistant à transporter l’énergie nécessaire à leur propulsion : charbon, bois, mazout, gazole… La force du chemin de fer a toujours consisté à pouvoir transférer autant de fonctions possibles du véhicule vers la voie.
La dangerosité de l’hydrogène, la faiblesse du nombre de commandes de rames
On ne peut passer sous silence une quatrième objection, celle de la dangerosité de ce combustible. L’hydrogène est potentiellement dangereux lors de la circulation dans des tunnels, problème apparemment oublié par Alstom. La combustion subite du stock d’hydrogène libéré lors d’un accident dans un tunnel, qui ne pourrait s’évacuer par le haut, serait pire que l’incendie du Graf Zeppelin.
Vue générale de Luchon. La ville était desservie jusqu'en 2014 par des voitures directes depuis Paris. Après la réouverture, prévue d'ici trois ans, des liaisons directes au moins depuis Toulouse paraissent indispensables au regard de la valeur touristique et thermale de premier ordre de cette "Reine des Pyrénées", entourée des treize plus importants sommets du massif, dont le Pic d'Aneto (3.404m). Les eaux de Luchon sont chaudes et souffrées. (Doc. thermes-luchon.fr)
La cinquième objection est industrielle. « Pour Alstom il faut 50 commandes minimum de Régiolis pour lancer une version bi-mode fonctionnant à l’hydrogène », explique notre consultant. Le Régiolis est fabriqué à l’usine de Reichshoffen (Alsace), qui doit être cédée à un tiers. La fabrication du Régiolis devrait donc être stoppée et l’on n’ira pas aux 1.000 exemplaires commandés (402 Régiolis auront été construits y compris ceux pour CDG Express, le Sénégal et l’Algérie).
Le seuil de rentabilité pour le constructeur sera-t-il atteint ? Les premiers trains à hydrogène devraient arriver en 2023 en Occitanie, mais aussi en Auvergne-Rhône-Alpes, Bourgogne-Franche-Comté, Grand Est. Dans son plan de relance, le gouvernement a prévu 7 milliards d'euros pour faire décoller la filière hydrogène française.
Pour une ré-électrification en 1.500V, prélude à une conversion en 3.000V, plus économique ?
Restent des solutions alternatives. Pour Montréjeau - Luchon, si la fréquence envisagée est suffisante, (7 allers-retours par jour) une ré-électrification en 1500V continu, courant de l’axe Toulouse-Bayonne et de toutes les lignes électrifiées d’Occitanie, serait intéressante. Elle pourrait être compatible avec un futur éventuel 3000V, tension qui pourrait constituer une solution aux coûts élevés du 1.500V en diminuant le nombre de sous-stations. On notera que le matériel TER actuel pourrait être adapté sans trop de difficultés au 3000V. Soulignons que Montréjeau-Luchon comporte peu d’ouvrages d’arts : huit petits viaducs, le plus long affichant 51 m, et un seul tunnel, de 69 m de longueur.
Ainsi la solution hydrogène apparaît-elle, sur Montréjeau-Luchon, aussi ambitieuse que risquée.