La relance du fret ne passe pas seulement par les grands axes. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, les embranchements particuliers rebaptisés ITE (installations terminales embranchées) et les lignes de desserte fine sont les conditions indispensables pour assurer une continuité modale entre le producteur et le destinataire. Or les exemples se multiplient d’entreprises empêchées de venir directement au rail en raison de la suppression de quelques kilomètres, voire de quelques centaines de mètres de voies après oukases, anciens ou récents, de quelque lointain gestionnaire de la pénurie.

 L'absence d'ITE impose un transport routier en bout de parcours ferroviaire... incitant à rester à la route pour l'ensemble de la relation. Les ruptures de modes sont notoirement pénalisantes.

Volvic-Le Mont Dore, exemple d’une menace de transfert sur route par disparition des autres trafics

 Comme ses confrères, Raildusud a récemment évoqué la menace sur les quelque 53,5 km de voie Volvic-Le Mont-Dore, levée provisoirement grâce à un arrangement à 400.000 euros avec les collectivités locales. Cette ligne ne voit plus passer que des trains d’eaux minérales de la SMDA (Sources du Mont-Dore en Auvergne), qui sont donc eux-mêmes menacés de report sur route. Or SMDA expédie 40 % de sa production par rail. La fermeture de la ligne aurait donc pour conséquence de doubler le trafic routier de poids-lourds. SNCF Réseau déplore que la SMDA ne lui rapport que 23.000 euros de recettes par an pour une maintenance qu’elle évalue à 1,2 millions d’euros annuels, non compris les frais de remise à niveau. Mais une telle disproportion n’est que la résultante de la liquidation du service voyageurs et des wagons isolés. La SMDA a expédié jusqu’à 14 trains par semaine, soit au moins deux par jour, trafic en baisse depuis quelques années.

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Amorce du faisceau de la gare terminus au Mont-Dore. Les installations sont abandonnées alors qu'elles ont vu passer jusqu'à 23 trains par jour. L'embranchement particulier de l'usine SMDA est situé quelques kilomètres en aval. (©Stéphane Périchon, RDS)

 Sur cette ligne, la branche voyageurs de la SNCF a supprimé tous ses trains, qu’ils soient Grandes lignes ou TER, tarissant mécaniquement les ressources de RFF puis SNCF Réseau (1). En 1998, on relevait encore 2 allers-retours par jour Clermont-Ferrand-Le Mont Dore et six à huit navettes Laqueuille-Le Mont-Dore, en correspondance avec le flux de la ligne de Puys Clermont-Ferrand-Ussel et leurs au-delà. Auparavant, Le Mont-Dore avait connu des trains directs depuis Paris, dont un quotidien jusqu’en 2006, Bordeaux, Nîmes (Le Cévenol) et Besançon via Lyon, souvent saisonniers. Dans les grandes années, on a géré jusqu’à 23 trains de voyageurs par jour en gare du Mont-Dore, rappelle un cheminot.

A Laqueuille, Aquamark (eaux) n’est pas embranché et à Saint-Eloy-les-Mines, Rockwool jouxte une ligne fermée depuis 2007

 Côté fret, on notera que la SMDA n’est pas la seule à produire des eaux de table dans la région.  A Laqueuille, gare d’embranchement de l’antenne du Mont-Dore sur la ligne des Puys, Aquamark exploite une usine qui assure la production et l’embouteillage d’eaux de marque distributeur – de source ou minérales - pour le Mouvement Leclerc. Le site d’Aquamark à Laqueuille n’expédie rien par le rail malgré la présence d’une ligne en exploitation. Aquamark exploite un autre site, à Saint-Diery, commune située à égale distance (environ 25 km) du Mont-Dore et d’Issoire, deux localités desservies par le rail.

 Dans le même département du Puy-de-Dôme, mais plus au nord-ouest, la suppression de tout trafic sur la ligne Lapeyrouse-Volvic en 2007 condamne tout transfert sur rail des productions de l’important site de Rockwool France à Saint-Eloy-les-Mines. Cette entreprise est spécialisée dans les matériaux isolants thermiques et acoustiques, charges typiquement adaptées au transport par voie ferrée.

Granulats : transfert sur route à Souvigny… et dernier kilomètre routier près de Blois à cause d’une suppression d’aiguillage

09022014173Rame de travaux lors du début de renouvellement de la section Souvigny-Moulins. L'opération a été interrompue par manque de financements. La ligne a été officiellement fermée depuis. (© Stéphane Périchon, RDS)

 La fermeture d'un reliquat long de 14 km de la ligne Montluçon-Moulins entre Souvigny et Moulins a rejeté sur la route des camions chargés de quartzite pour transfert sur rail à destination de la Maurienne à La Ferté-Hauterive, à 22 km du site d’extraction. Un cauchemar pour les riverains et les usagers de la route, un drame pour le dirigeant de la carrière de Meillers. (2)

 On relève le même phénomène dans le Centre-Val de Loire voisin, malgré la toute récente et réconfortante signature d’un contratentre « LCE-Loir-et-Cher Enrobés » et la filiale de VFLI (groupe SNCF) Ecorail Transport, spécialisée dans le vrac. Le transport de 7.000 tonnes de granulats depuis sa carrière de Luché, à Luché-Thouarsais (Deux-Sèvres), pour la centrale de l’entreprise près de Blois (Loi-et-Cher), se fera par train mais il va devoir emprunter la route sur son dernier kilomètre alors que le rail est contigu.

 Cette centrale de LCE est en effet située le long de la ligne « capillaire » fret Blois-Villafrancoeur, immatriculée 559.000 au catalogue du RFN, dont la superstructure a été renouvelée en 2016. Mais à cette occasion l’ITE de la carrière LCE de Luché a été neutralisée, son aiguillage déposé. C’est ballot, mais tellement courant et révélateur d’une « vista » bureaucratiquement française. L’antenne Blois-Villafrancoeur est une section de l’ancienne ligne Pont-de-Braye-Vendôme-Blois, fermée sur sa partie centrale en 1952.

Ecorail

L'une des onze locomotives de la cavalerie propre d'Ecorail Transport. Cette filiale de VFLI, elle-même filiale de la SNCF, spécialisée dans le transport de minéraux, céréales et pondéreux, véhicule deux millions de tonnes de marchandises par an. (Doc. Ecorail Transport)

 Ecorail Transport souligne que « la consommation d’énergie du train est environ 5 fois moins importante » que celle d’un camion sur ce type de transport. Mais ce constat ne sera malheureusement pas valable sur la totalité du parcours puisque Ecorail transport devra effectuer un parcours routier, même court. L’obsession de suppression « pour économies » qui préside à la gestion du réseau depuis 1938 frise l’absurde.

Suppression d’un aiguillage dans l’Hérault, et l’usine Syngenta est durablement isolée du rail

 On relève la même incohérence dans l’Hérault avec la suppression, lors du renouvellement total de la section magistrale Nîmes-Montpellier, de l’aiguillage permettant aux convois d’accéder à l’intérieur des emprises de l’usine Syngenta d’Aigues-Vives dans le Gard. Ce site de l’entreprise suisse de produits destinés à l’agriculture n’est plus directement desservi par wagons isolés depuis une décennie alors que le trafic fret de l’axe qui le jouxte est en majoritairement reporté sur la Contournement de Nîmes et Montpellier. Un rétablissement de la desserte nécessiterait la pose d’aiguillages neufs, soit un coût dissuasif.

CombrondeTranfert de conteneurs depuis des camions vers le train, sur un chantier du groupe Combronde. Son projet de plate-forme à Arles destiné aux flux de Nestlé Waters Sud-Nord (Perrier) et Nord-Sud (Hépar, etc...) permettrait d'économiser 15.000 parcours de camions par an. On ignore pour l'instant quel sera le mode d'acheminement jusqu'à Arles des conteneurs issus de l'usine Perrier de Vergèze avant leur expédition par trains. (Doc. Combronde)

 Pour l’usine Perrier de Nestlé Waters située non loin de là à Vergèze, il aura fallu l’implication financière de la région Occitanie pour que le long embranchement particulier puisse être rétabli après dix années de neutralisation. Des trains de conteneurs sont depuis deux ans expédiés directement depuis l’usine jusqu’à Fos pour l’exportation par voie maritime. Pour les expéditions de Perrier vers le nord de la France, Combronde prépare pour 2021 une plate-forme à Arles, partagée avec les eaux de Nestlé Waters produites dans l’Est de la France à destination du Sud.

 Combronde, très actif dans le transport routier, évoque le transfert sur rail d’environ 15.000 camions par an. Nous ignorons si le préacheminement des eaux Perrier depuis Vergèze jusqu’à Arles sera effectué par route ou par rail.

La ligne de la vallée de la Brévenne a perdu ses trains de granulats au profit de la route, 40 poids-lourds supplémentaires par jour

 Nous terminerons avec l'exemple de la ligne de la vallée de la Brévenne, dans le Rhône. Sur l'axe partiellement aliéné Lyon-Saint-Paul-Montbrison par Montrond-les-Bains, la section reliant les carrières de La Patte au sud de Sainte-Foy-l'Argentière à Sain-Bel, extrémité d'une des antennes du train-tram de l'ouest lyonnais, vient d'être fermée à tout trafic fin 2019 (3). Conséquence : quarante poids-lourds supplémentaires sillonnent quotidiennement la départementale D389, déjà engorgée, polluant un peu plus les villages de cette grande banlieue de Lyon.

DSCN2153Extrémité du plateau de voies de la gare de Sainte-Foy l'Argentière. A gauche, les haies séparent le domaine ferroviaire du site Lone Star ex-Imerys, qui produit principalement des tuiles, dont on aperçoit l'aire de stockage, au second plan... à quelques dizaines de mètres du heurtoir au-delà duquel la ligne est fermée et largement aliénée. Derrière le photographe, des wagons sont entreposés par l'association du train touristique des Monts du Lyonnais, isolés du réseau depuis l'interdiction de circulation de cette attraction régionale par le gestionnaire d'infrastructure. Ils le sont plus encore depuis la suspension des circulations des trains de granulats issus des carrières de La Patte, à quelques kilomètres en aval de cette gare.  (© RDS)

  Mieux : cette ligne, défendue par plusieurs associations dont l'une aimerait faire fonctionner à nouveau le train touristique des Monts du Lyonnais alors que les rails n'ont pas été déposés, est interrompue par un heurtoir situé à quelques mètres du site industriel d'Imerys Toitures, une tuilerie rachetée récemment par Lone Star, à Sainte-Foy l'Argentière. La totalité de cette production lourde passe par la route alors que les rails jouxtent les emprises du site industriel.

Mais SNCF Réseau a fait quelques économies en refusant de conforter quelques ouvrages d'art et de renouveler la voie de Sain-Bel jusqu'aux carrières de La Patte, soit une dizaine de kilomètres. La distance entre Sain-Bel et Sainte-Foy l'Argentière n'est que de 16,5 km.

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(1) Sur la menace de fermeture de la ligne du Mont-Dore :

Tiers-mondisation du réseau régional : la ligne fret Volvic-Le Mont-Dore menacée de fermeture, les collectivités priées de payer - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Nouvelle illustration de l'effrayante tiers-mondisation des réseaux ferrés des régions françaises, le sort calamiteux de Volvic-Le Mont Dore, reliquat de la " ligne des Puys " Clermont-Ferrand-Ussel et son embranchement à Laqueuille vers le Mont-Dore.

http://raildusud.canalblog.com

(2) Sur le transfert par toute du trafic de granulats de la carrière de Meillers :

Bureaucratie, gaspillage, marginalisation territoriale : l'histoire de la section fret Souvigny-Moulins - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Longue de 66,7 km, la ligne Commentry-Moulins était l'élément principal de l'axe ferroviaire structurant reliant Montluçon à Moulins (80,65 km), grandes villes du département de l'Allier, toutes deux en grande souffrance économique et démographique.

http://raildusud.canalblog.com

(3) Sur le sort de la ligne de la vallée de la Brévenne, à l'ouest de Lyon :

Ouest-Lyonnais : la vallée de la Brévenne n'aura pas de voyageurs et perd son fret - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

La gare de Sainte-Foy-l'Argentière. Désertée depuis l'interdiction de circulation d'un train touristique, les emprises sont entretenues par l'association du Chemin de fer touristique de la Vallée de la Brévenne (CFTB). (Cl.

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