Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
9 novembre 2020

Nîmes-le Grau-du-Roi : un fort potentiel, une offre sous-dimensionnée, des gares tiers-mondisées, un terminus malmené

 La ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi est le dernier reliquat de l’important réseau de la Camargue occidentale. Longue de 45 km depuis Nîmes-Centre (41 km depuis la bifurcation de Saint-Césaire), elle est l’exemple typique de la tiers-mondisation d’une ligne à fort potentiel péri-urbain, touristique et fret, classique dans cette « France des territoires » abandonnée par les élites nationales au monopole de la route. Pour mémoire, notons simplement que le Grau-du-Roi compte 120.000 habitants l’été et 9.000 le reste de l’année, sa voisine Aigues-Mortes 8.500 hors saison (population doublée depuis 1980) avec une très forte fréquentation de visiteurs l’été. Leur intercommunalité (Terres de Camargue, trois communes) compte 20.300 habitants, en croissance. Pus près de Nîmes, Vauvert compte 11.700 habitants et l’intercommunalité de la Petite Camargue à laquelle elle appartient compte 27.000 habitants.

 La ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi serait particulièrement désignée pour bénéficier du programme d'investissements régionaux de 800 millions d'euros sur dix ans proposé par la présidente de la région Occitanie contre une participation équivalente de l'Etat, somme destinée en particulier à réhabiliter les lignes régionales.

Un trafic voyageurs important l’été, une offre hors saison supprimée, puis rétablie et désormais réduite

 Longtemps desservie par des autorails durant la seule saison d’été, la ligne Nîmes-Le-Grau-du-Roi a vu rétablir un service ferroviaire voyageurs tout au long de l’année au début de ce siècle. Le temps de parcours entre les deux extrémités de la ligne est d’environ 50 minutes. En 2011, la ligne a bénéficié du tarif à un euro, dopant son trafic estival avec des pointes au-delà du millier de voyageurs quotidien, moyennant quelques dérives délictueuses et dégradation de matériel. Cependant depuis deux ans, hors été, le service voyageurs a été réduit à deux allers-retours quotidiens et aucun les samedis, dimanches et fête (une rotation unique est cependant maintenue ces jours-là en septembre). En été, l’offre consiste en 5 AR la semaine, 6 AR les samedis et dimanches.

DSCN3321Parvis sud de la gare de Nîmes Centre (ci-dessus) et façade arrière du bâtiment voyageurs (ci-dessous). Un vaste espace d'embarquement et de garage des autobus péri-urbains est aménagé. La correspondance entre les autocars et les trains exige un long parcours sur le parvis, puis à l'intérieur de la gare pour rejoindre les quais situés en hauteur, nécessitant de gravir plusieurs volées d'escaliers. ©RDS

DSCN3322  La clientèle est priée de se reporter sur des autocars ex-départementaux passés sous pavillon régional (marque LiO) plus fréquents mais non intégrés aux fiches horaires du service TER. Ces circulations routières sont pour certaines amorcées à La Grande-Motte, dans le département voisin de l’Hérault, à 12 km du Grau-du-Roi. Elles assurent une desserte fine touchant la célèbre station héraultaise, mais le temps de parcours entre Nîmes et Le Grau-du-Roi passe de 50 mn en train à environ une heure et demi en car. De plus, les correspondances à Nîmes-Centre, gare dont les voies sont situées en estacade, sont évidemment plus complexes du car au train que du train au train.

 Il est piquant de rappeler que plusieurs élus avaient suggéré, lors des consultations pour le projet de Contournement de Nîmes et Montpellier, d’embrancher directement ce dernier à Générargues sur la ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi et d’électrifier cette dernière pour permettre l’envoi de TGV jusqu’à la station balnéaire. Par ailleurs, des circulations transversales Alès-Le Grau-du-Roi furent créées voici quelques décennies. Elles existent potentiellement puisque l'exploitation prévoit une coupure/raccordement de deux rames AGC en gare de Nîmes-Centre une navette Alès, l'autre prolongée Grau-du-Roi, mais avec des temps de stationnement assez dissuasifs et sans mention aux fiches horaires.

 La voie unique de la ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi s’amorce à Saint-Césaire, station de banlieue à 4 km de Nîmes-Centre, récemment reconfigurée avec, pour les circulations de la ligne du Grau-du-Roi, un nouveau quai sur voie unique décalé par rapport au bâtiment voyageurs. Cette configuration impose un parcours d’approche et une traversée des deux voies de la ligne principale Tarascon-Sète. Saint-Césaire était aussi l’amorce de la ligne de Nîmes-Sommières, déclassée en 1991 après avoir perdu son trafic voyageurs en janvier 1970.

 La base travaux du CNM était embranchée à Générargues, les trains de sel ont disparu

 La voie jusqu’au Grau-du-Roi est relativement correcte. Notons qu’elle a servi de parcours d’approche pour les trains lourds de la vaste base travaux de Générargues, embranchée à 10 km de Saint-Césaire, qui alimenta jusqu’en 2018 les chantiers de construction de la superstructure du Contournement de Nîmes et Montpellier. Après le démantèlement de cette base-travaux, aucune jonction entre la ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi et le CNM n’a été maintenue en amont du croisement en dénivelé des deux lignes.

 Côté fret, les trains de sel des Salins du Midi, embranchés à Aigues Mortes, ont disparu au profit de la route. A Vauvert, un embranchement permet de relier au rail une importante zone d'activité, sans qu'on en connaisse le trafic effectif. Vauvert abrite un site de Vibrac (nutrition animale), de la Sovema (commerce d'équipements industriels), de l'Ufab (boissons), de la Sidam (commerce d'armes). Aimargues abrite des sites de production des entreprises Royal Canin (nutrition animale) et Eminence (textile).

 Si la voie principale reste de qualité acceptable malgré des sections envahies par les herbes, elle n’en demande pas moins des soins de maintenance. Cette année, un renouvellement de traverses entre Vauvert et Le Grau-du-Roi impose un report sur route du 9 au 20 novembre, après décalage dû au confinement. En 2019 à la même époque, plus de 2.000 traverses avaient déjà été remplacées et 4.000 ajoutées. Notons que les autocars TER de substitution durant le temps des travaux affichent un temps de parcours supérieur d’une vingtaine de minutes aux trains supprimés.

DSCN3328Arrêt d'un AGC Occitanie en gare de Beauvoisin, commune de 4.800 habitants à 15,6 km de Nîmes, dans sa périphérie sud-ouest. Des quais lassés à l'abandon ne répondant en rien aux normes actuelles et un bâtiment voyageur fermé offrent un spectacle de pays sous-développé... A quelques encâblures des villes de Nîmes et Montpellier, et du chapelet de station balnéaires courant de Port-Camargue à La Grande-Motte. ©RDS

 En revanche, l’état des stations est généralement calamiteux et indigne d’une ligne affichant un tel potentiel. Si les bâtiments voyageurs sont souvent repeints (et souvent fermés), les quais sont dans un état pitoyable sauf à Aigues-Mortes. Les guichets demeurent ouverts à Vauvert, Aigues-Mortes et le Grau-du-Roi. Le pire est atteint à Saint-Laurent d’Aigouze dont la gare, rasée pour faire passer une route à quatre voie, la D979, et remplacée par un petit abri de quai en béton entre deux voiries, sans arbres, exigeant d'attendre l’été en plein soleil ou l’hiver en plein vent de nord.

 Quant à la signalisation actuelle, elle ne permettrait pas d’admettre un service cadencé alors qu’une fréquence à l’heure, voire plus côté nord, paraît commercialement et socialement légitime. Par plus qu’elle ne permettrait, dans le cadre d'une desserte voyageurs cadencée, un rétablissement significatif du trafic fret au départ de l’embranchement des Salins du Midi, au sud d’Aigues-Mortes, actuellement inutilisé.

Les emprises de la gare du Grau-du-Roi devraient être raccourcies pour laisser place à un « éco-quartier »

 La situation au Grau-du-Roi n’est guère plus reluisante. Si la gare a été rénovée, constituant un petit pôle d’échanges avec les lignes d’autocar, avec une passerelle côté Aigues-Mortes, les voies sont dans un état pitoyable, envahies par les herbes. Deux voies permettent de recevoir les trains, avec aiguillage donnant sur un tiroir, et une troisième, en cul-de-sac en amont du bâtiment voyageurs, est inutilisée. Ces emprises, relativement longues et importantes – une autre voie existait côté est – sont actuellement menacées par un projet immobilier et urbain qui projette d’amputer le faisceau de 220 mètres sur sa longueur, soit à partir du nord du bâtiment voyageurs qui ne ferait plus face aux voies.

 Ce quartier, évidemment baptisé « éco » comme il se doit, couvrirait 6,5 hectares. Dénommé « éco-quartier des Pins », il serait bâti de logements sociaux et de logements privés, destinés à répondre à la forte demande de la population pour un habitat dans le centre de cette commune très étendue.  Son architecte-urbaniste est l’espagnol Joan Busquets, professeur à l’Université polytechnique de Barcelone, avec le français Rudy Ricciotti. Ils ont prévu de nombreuses plantations et un réseau de circulations « douces ».

DSCN3340Vue d'ensemble du plan de voies de la gare terminus du Grau-du-Roi, qui dessert plus de 120.000 habitants en moyenne l'été, avec des flux touristiques considérables (outre le Grau-du-Roi, Port-Camargue, La Grande-Motte...). Si le bâtiment a été rénové, relativement modernisé et conserve un guichet actif, les voies présentent un aspect de désolation avancé. La passerelle urbaine, au fond, sert à enjamber l'ensemble des installation ferroviaires. A droite du quai situé au premier plan existaient des voies depuis longtemps déposées. La voie de droite rejoint celle de gauche à l'arrière de la vue, pour permettre des rebroussements d'éventuels engins moteurs. C'est toute la section de ce faisceau située en-deçà du bâtiment voyageurs vers la prise de vue qui pourrait être aliénée au profit de l'éco-quartier des Pins. ©RDS

 Mais ce projet est beaucoup moins « écologique » en matière ferroviaire. Non seulement les voies seront raccourcies, mais seules deux seraient maintenues, une seule voie de réception avec un quai allongé à 150 mètres pour recevoir des rames doubles, et une voie de remisage. Le projet de configurations générale ne semble pas permettre une liaison entre ces deux voies à leur extrémité pour rebroussement et mise en place sur l’unique voie à quai sans remonter sur la voie principale de sortie de gare. Par ailleurs, la disparition de l’actuelle voie en cul-de-sac limiterait plus encore la capacité de stationnement des trains, et donc l’aptitude à augmenter leur fréquence.

Nîmes-Le Grau-du-Roi croisait, entre Aimargues et Le Caylar, la ligne Lunel-Arles

 Rappelons enfin que la ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi est la dernière rescapée du réseau de Camargue à voie normale. Deux autres voies s’en détachaient : au Caylar vers la gare d’Arles Trinquetaille, à 23 km, sur la rive droite du Rhône (une liaison jusqu’à la gare de la rive gauche exista jusqu’à la destruction du viaduc sur le fleuve, à la fin de la IIe Guerre mondiale) ; à Aimargues vers Lunel, à seulement 6,8 km. En fait la section Aimargues-Le Caylar constituait un tronc à deux voies commun sur 2,3 km à la ligne Nîmes-Le Grau-du-Roi et à la ligne Lunel-Arles, cette dernière longue de 43,5 km. Le service voyageurs y fut supprimé dès 1938 par la SNCF. La branche Lunel-Aimargues fut retranchée du réseau et déposée en 1971. La branche Le Caylar-Arles, qui dessert Saint-Gilles, est « non exploitée ».

DSCN3360Ce qui reste de la gare de Saint-Laurent d'Aigouze (3.500 habitants) dont les vastes installations fret, de l'autre côté de la rame AGC, sont aliénées. La route à quatre voie est à gauche, à l'arrière du minuscule abri en béton qui offre des conditions de protection indignes, en plein été sous le soleil de Camargue comme l'hiver sous le vent de nord. Le village est situé au-delà de la voie express, sur la gauche. ©RDS

 On relèvera qu’une réouverture de la courte section Lunel-Aimargues, moyennant aménagement d’une courte liaison ouest-sud évitant Aimargues, permettrait une desserte train Lunel-Le Grau-du-Roi, possiblement amorcée à Montpellier, d’une longueur de seulement 24,8 km de Lunel au Grau-du-Roi et de 46 km de Montpellier au Grau-du-Roi, contre 31 km par la route tracée par le sud de l’étang de l’Or, mais qui ne dessert ni Baillargues, où a été installée une nouvelle gare, très courue, pour la banlieue est de Montpellier en plein développement, ni Lunel (27.000 habitants).

Publicité
Publicité
Commentaires
J
super article ,originaire de la région ,retraité cheminot (émigré à Lyon depuis 1970) défenseur du service public ferroviaire ; j'apprécie entièrement ces écrits , et les préconisations pour rétablir la ligne au niveau du 21eme siècle j'aime particulièrement le projet de réouverture de Lunel - le Grau du Roi ,ligne que j'empruntai lorsque que j'étais gamin pour aller à la mer avec mes grands-parents . De Lunel ,on pouvait rejoindre Alès directement sans changement à Nimes . mais c'était avant !!!!!
Répondre
D
Merci pour l'article qui nous fait voyager en cette période où c'est un privilège de s'éloigner à plus d'1km de chez soi. <br /> <br /> C'est vrai que cette ligne avec un temps de parcours de 50min et une gare de croisement (Vauvert) bien située à mi parcours se prêterait parfaitement à un cadencement à l'heure (2 trains) ou aux 2 heures (une seule rame). <br /> <br /> A noter que si un cadencement horaire strict était établi, il deviendrait sportif de faire circuler des trains lourds de sel au départ d'Aigues Mortes dans la journée.<br /> <br /> Quand on est dans l'idée de développer l'usage du train pour le tourisme, il est dommage de reculer la distance entre la gare et la plage. Toutefois même dans le cadre d'un cadencement horaire, une seule voie à quai serait nécessaire au terminus. De nombreuses gares terminus britanniques sont agencées ainsi, avec parfois un faisceau de voies de remisage en amont pour les trains en réserve ou les trains de travaux. Une seconde voie à quai au terminus se justifierait éventuellement pour stationner un train touristique qui n'aurait pas vocation à faire un demi-tour bref.
Répondre
D
Merci pour cet article très complet sur un monde disparu hélas tué par les technos de la SNCF et dans l'indifférence aussi totale que coupable des élus..(du Gard comme de la région..).
Répondre
F
Quel scandale cette gestion des lignes par la SNCF et les élus locaux! Et avec cela, nous sommes "bassinés" par des grands idées sur le développement durable et Grenelle I par ci, Grenelle II, par là.... D'ici à ce qu'un élu ait l'idée de créer une "voie verte"...
Répondre
Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Publicité
Archives
Newsletter
Publicité