Deux années de fermeture quasi-totale depuis le 2 novembre : c’est le traitement auquel est soumis la ligne Grenoble-Veynes, longue de 110 km, pour assurer sa pérennité. L'investissement a été particulièrement difficile à boucler malgré son montant modeste au regard de ce patrimoine d’exception : 31,3 millions d’euros pour le plus gros des travaux. Les mille voyageurs quotidiens qui empruntent la ligne Grenoble-Veynes vont devoir se reporter sur quelques trains maintenus jusqu’à Clelles pendant un an, sur des autocars de substitution ou sur leur voiture particulière alors que les entrées dans Grenoble, particulièrement aux abords de la gare centrale, sont notoirement congestionnées.
SNCF-Réseau a lancé la première salve de travaux le 2 novembre, entre Jarrie-Vizille et Vif, soit 7 km dotés de deux viaducs (sur la Romanche et sur le Drac) et d'un petit tunnel de 51 mètres. Bien qu’ils ne concernent qu’un court tronçon jusqu’au 12 décembre, ces travaux de renouvellement voie-ballast inaugureront la fermeture des 110 km de ligne pour deux années. D’un coût de 3,6 millions d’euros cofinancés, ils étaient prévus à l’origine pour mai 2020. Leur report, dû à la « crise sanitaire », entraîne donc une continuité de la fermeture puisque la ligne ne rouvrira pas sur la totalité de son parcours avant fin 2022 en raison de la dégradation de la voie plus au sud et d'une autre série de gros travaux.
Viaduc de l'Orbanne, aux flancs du Vercors, à 1 km au nord de Clelles. Long de 199 m, cet ouvrage en pente et en courbe continuera de voir passer quelques TER pendant l'année 2021, provenant de Grenoble et limités à Clelles. La section au sud de Clelles est désormais considérée par SNCF-Réseau comme impraticable. Les travaux qui commenceront fin 2021 jusqu'à fin 2022 pour rétablir la géométrie de la voie imposeront à nouveau la fermeture de la totalité de la ligne, section nord incluse. (Doc. Wikipedia)
Ce type de neutralisation pour travaux est la contrepartie de la modestie des sommes investies. Il n’est pas établi que les économies ainsi réalisées ne soient pas dévorées par les pertes de recettes de l’exploitant, immédiates ou différées.
La section Clelles-Aspres-sur-Buëch est considérée comme suffisamment dégradée pour une fermeture sans travaux durant 2021
La section Clelles-Aspres-sur-Buëch (46 km) est considérée comme suffisamment dégradée pour « ne pas permettre de garantir la sécurité des circulations », selon SNCF-Réseau. Entre fin novembre 2020 et novembre 2021, la liaison complète Grenoble-Veynes restera donc interdite alors que le principal des travaux de régénération ne commencera qu’en fin d’année prochaine. Pour le Collectif de défense de l’étoile ferroviaire de Veynes, « la fermeture de la ligne en 2021 sans motif est inacceptable ». Il expliquait, dans un communiqué : « SNCF Réseau a expliqué au comité de pilotage qu’elle ne pourrait pas assurer la maintenance renforcée nécessaire au maintien en fonctionnement de la ligne (durant l’année 2021, NDLR) au-delà de Clelles parce qu’elle ne disposait pas des rails nécessaires ! ».
Face à cette revendication, SNCF-Réseau a toutefois ajouté 3 millions d’euros pour une maintenance renforcée qui permettra de maintenir les TER au moins jusqu’à Clelles courant 2021.
Ce n’est qu’à partir de novembre 2021 et jusqu’à novembre 2022 que sera menée la campagne de renouvellement entre Clelles et Aspres-sur-Buëch (46 km), section frappée par les limitations de vitesse les plus sévères, et sur la section entre Vif et Clelles (36,5 km). Seize kilomètres de voie et cinq aiguillages hors d’âge seront remplacés.
Le devis principal de régénération de Grenoble-Veynes, qui s’élève à 31,3 millions d’euros hors maintenance renforcée Vif-Celles, est financé par l’État, les régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d’Azur, les conseils départementaux de l’Isère et des Hautes-Alpes, et SNCF Réseau.
La section Vif-Monestier-de-Clermont comporte l’étonnant tracé en « S » entre vallées de la Gresse et du Drac
La section Vif-Clelles est remarquable par son tracé entre Vif et Monestier de Clermont. Sur cette section de 22 km la déclivité est continue à raison de 25 ‰. Entre Vif et Saint-Martin-de-la-Cluse, sur 12,5 km, la ligne présente un tracé en « S » remarquable qui lui permet de gagner en altitude au-dessus du bassin de la Gresse en allant surplomber sur deux kilomètres la gare de Vif et la vallée du Drac, à l’est.
Profil de la section Grenoble-Clelles de la ligne Grenoble-Veynes. On remarque le tracé en S incluant un tunnel en courbe de plus de 1 km au sud de Vif, ainsi que les longues déclivités de 25 pour mille.
Cette section, sur laquelle la voie est soumise à de fortes contraintes, affiche deux viaducs de 277 m et 115 m et deux tunnels de 120 m et de 1.176 m. Ce dernier, le tunnel du Grand Brion, en courbe et en pente, permet de repasser de la vallée du Drac au bassin de la Gresse. Il s’agit d’un des nombreux points remarquables de cette ligne exceptionnelle.
Vers le sud, la ligne Grenoble-Veynes atteint à la sortie de Monestier-de-Clermont le col du Fau qu’elle franchit par un tunnel de 603 m, débouchant sur le vaste bassin du Trièves entre hautes falaises du Vercors à l’ouest, Obiou au sud, plateau de la Matheysine au nord et, loin vers l’est, la couronne du massif des Ecrins, qui culmine à 4.102 m à la Barre des Ecrins. La ligne, qui serpente en balcon au flanc du Vercors et passe au pied du Mont-Aiguille, offre l’un des tracés alpins parmi les plus éblouissants d’Europe.
Détail du massif des Ecrins, dont le sommet, la barre des Ecrins, dépasse les 4.100 m d'altitude. L'ensemble de la chaîne est visible côté est depuis la section centrale de la ligne Grenoble-Veynes, elle-même surplombée côté ouest par les vertigineuses barres rocheuses du Vercors. On n'imagine pas que la réouverture de la ligne après travaux, fin 2022, ne s'accompagne pas d'une valorisation touristique de grande ampleur. (Doc. Oisans.com)
Outre cet aspect touristique évident et dramatiquement sous-exploité – on imagine ce qu’en auraient fait les Suisses ou les Autrichiens -, la ligne Grenoble-Veynes présente deux atouts et un inconvénient.
Deux atouts : une fonction péri-urbaine et une fonction inter-régionale, toutes deux sous-exploitées
Le premier atout est sa fonction péri-urbaine autour de Grenoble, manifestement sous-exploitée. Jusqu’à Monestier-de-Clermont, à 42,5 km de Grenoble, elle dessert le sud de la Métropole avec Pont-de-Claix, Jarrie-Vizille, Saint-Georges-de-Commiers, Vif. La desserte ferroviaire de ces communes est sous-dimensionnée alors que la ligne présente ici l’avantage de doubler des axes routiers surchargés, sur lesquels le transport public est réduit à des norias d’autobus.
L’ancien embranchement des Voies Ferrées du Dauphiné, de Jarrie-Vizille à Vizille, est abandonné alors qu’il constitue, le long de la Romanche, un axe de pénétration de premier ordre. Il est question de l’intégrer à une desserte ferroviaire de type métropolitain, dont l’idée traîne depuis des décennies sans commencement de concrétisation. Notons aussi que la ligne passe, sur la commune de Pont-de-Claix en pleine agglomération grenobloise, à quelques mètres du nouveau terminus de la ligne A du tramway du réseau TAG (Pont-de-Claix-L’Etoile), sans que la moindre correspondance ait été aménagée.
Le second atout est sa fonction inter-régionale, attestée par l’identification originelle de Grenoble-Veynes comme élément de la ligne Lyon-Perrache-Marseille-Saint-Charles via Grenoble. Elle aussi est sous-exploitée. Actuellement désignée par la presse grand public comme « ligne Grenoble-Gap », ce qu’elle n’est pas à l’origine, la section Grenoble-Veynes cumule les flux potentiels directs suivants : Grenoble-Gap et au-delà vers Briançon, la haute vallée de la Durance (Chorges, Embrun, Montdauphgin-Guillestre…) étant difficilement accessible par la route du col de Lautarey ; Grenoble-Sisteron-Manosque-Gréoux-les-Bains-Aix, évitant un interminable détour par la vallée du Rhône et Marseille ; Genève-Grenoble-Saint-Auban-Digne, soit l’ancien Alpazur en correspondance à Digne avec la ligne des Chemins de fer de Provence desservant Saint-André-les-Alpes, Thorame, Annot, Entrevaux, Puget-Théniers, Nice.
La section sud, la plus rurale, est handicapée par l’éloignement de Mens mais recèle de forts atouts touristiques
L’inconvénient du tracé de la ligne Grenoble-Veynes concerne sa section sud, la plus rurale. De fait, la principale localité du Trièves, la commune de Mens (1.400 habitants) n’est desservie que par la gare de Clelles, située à 14 km. L’éloignement de Mens pourrait être compensé par une bonne correspondance routière.
Le Mont-Aiguille, 2.087 m d'altitude, aux flancs de la forteresse naturelle du Vercors, domine le bassin du Trièves. La ligne Grenoble-Veynes le longe sur de nombreux kilomètres. (Doc. Wikipedia)
La localité même de Clelles, à 1,5 km de sa gare, ne compte que 540 habitants. Cet éloignement des populations rurales est aggravé par la fermeture de la gare de Saint-Maurice-en-Trièves, située à 2 km du bourg (155 habitants), à 4 km de Lalley (200 habitants), à 7 km du Monestier du Percy (260 habitants), dont le maire, Robert Cuchet, est cofondateur de l’Association pour la promotion de la ligne Grenoble-Veynes (AGV) qui milite pour la ligne depuis 1979.
Malgré ces handicaps, cette section sud de cette ligne présente des atouts touristiques majeurs, avec accès aux randonnées autour du Mont-Aiguille, l’une des sept merveilles du Dauphiné, desserte directe du col de la Croix-Haute (1.165 m d’altitude) passé sans tunnel et autrefois desservi par une halte pour les sports d’hiver censée aussi desservir Lalley, la station de Lus-la-Croix-Haute, située dans une corne de la Drôme, proche du col de Grimone. En aval, le long de la vallée du Buëch peu peuplée, les deux localités pourtant proches de la ligne ont vu leurs stations fermées, desservies seulement par Aspres-sur-Buëch, gare de jonction avec la ligne de Livron.
La question de l’isolement des Hautes-Alpes pendant près d’un an
La neutralisation de l’axe (moyennant maintien partiel côté nord en 2021), pose la question de l’isolement des Hautes-Alpes et de la Drôme orientale. En effet, de mars à décembre 2021 SNCF-Réseau fermera la ligne (Valence Ville) Livron-Veynes pour des travaux de régénération de même nature « afin d'assurer, pour l'avenir, la pérennité de l'axe ferroviaire reliant Valence à Briançon et, ainsi, le maintien des circulations du train de nuit Paris-Briançon », assurait fin 2019 devant le Sénat le secrétaire d’Etat aux Transports Jean-Baptiste Djebbari.
Or Patricia Morhet-Richaud, sénatrice (apparentée LR) des Hautes-Alpes a vivement protesté devant lui : « Cela revient à dire, monsieur le secrétaire d'État, que le département des Hautes-Alpes, malgré ses 140 000 habitants, ses 387 000 lits touristiques et ses 20 millions de nuitées par an, n'aura tout simplement plus de desserte ferroviaire, ni par Grenoble ni par Valence. » Réponse de M. Djebbari : « Une offre de substitution au train de nuit sera mise en place en 2021, pendant les travaux ».
Interminables rotations d’autocars peu capacitaires depuis Valence pour desservir la section Gap-Briançon, solution TGV-autocar par Bardonecchia/Oulx via le col du Montgenèvre enneigé pour desservir Briançon et quelques localités en aval ? Les travaux massifiés avec fermeture totale permettent des économies pour le gestionnaire d'infrastructures, mais ils ont un coût direct considérable pour les territoires.