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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
31 octobre 2020

Rencontre Delga-Farandou : l’Occitanie promet 800 millions d’euros pour ses lignes régionales... et espère autant de l’Etat

 Consciente de l’importance du chemin de fer dans les grands équilibres territoriaux et sociaux, la présidente du conseil régional d’Occitanie Carole Delga (PS) vient de mettre sur la table 800 millions d’euros, principalement pour moderniser, sauver ou rouvrir des liaisons régionales.  Rencontrant le 15 octobre le président du groupe SNCF Jean-Pierre Farandou qui, au début de sa carrière, fut chef de gare de Rodez en Aveyron, la présidente occitane a déclaré, à quelques mois des élections régionales : « J’avais annoncé que le développement du rail serait un enjeu prioritaire pour toute l’Occitanie… Le train, c’est le moyen de transport le moins cher, le plus propre, le plus sûr (…). Nous avons décidé d’investir 800 millions d’euros pour sauver le réseau ».

Un total de 1,6 milliard d’euros espérés sur dix ans, budget modeste pour une région dont la surface est 1,3 fois celle de la Suisse

 Reste que cette somme – 80 millions d’euros par an sur dix ans – est annoncée dans l’espoir que la partie propriétaire du réseau, l’Etat et son bras armé SNCF-Réseau, fasse un effort similaire, pour parvenir à un investissement total de 1,6 milliard d’euros. Un budget modeste au regard de la surface de l’Occitanie – 72.720 km2, soit 1,3 fois la Suisse – et de sa population – 5,9 millions d’habitants, soit la moitié de la population de la Belgique. Rappelons que pour la seule Ile-de-France (12 millions d’habitants, 12.000 km2), les investissements cumulés en nouvelles infrastructures ferroviaires sur la décennie en cours avoisinent 45 milliards d’euros, ainsi que raildusud l’avait analysé en début d'année (1).

1212Rame AGC sur un TER en provenance d'Avignon, à l'approche de Montpellier-Saint-Roch. Montpellier compte 290.000 habitants sur la commune, 470.000 habitants sur la métropole, 620.000 habitants sur l'aire urbaine, en quasi continuité avec Nîmes à l'est, Sète à l'ouest. Avec Toulouse, il s'agit d'un des deux grands pôles urbains régionaux, qui contrastent nettement avec la désertification des "arrières-pays" d'une région Occitanie à l'évidence trop centralisée. ©RDS

 L’Occitanie se caractérise par  de lourds contrastes démographiques. Elle présente des zones très denses d’une part : agglomération de Toulouse (1,4 million d’habitants sur l’aire urbaine) et continuum urbain du bas Languedoc d’Avignon à Narbonne (620.000 habitants pour la seule aire urbaine de Montpellier, 270.000 pour celle de Nîmes). Le reste de son territoire est d’autre part constitué d’espaces souvent peu peuplés. Sur ses treize départements, huit d’entre eux (près des deux tiers de son territoire) ne totalisent que 1,8 million d’habitants soit... 30% de sa population. Le moins peuplé, la Lozère, n’en abrite que 76.600.

Soit le pouvoir politique retire le train sous prétexte de faible densité, soit il aide à redensifier en rénovant les lignes

 Il peut en être déduit deux conséquences par le pouvoir politique. Soit il considère que ces territoires peu peuplés, aux faibles densités de population, ne justifient pas le train : alors il continue de suivre la trajectoire de démembrement du réseau ferroviaire entreprise depuis 1938. Soit il considère que la valorisation de ce « capital territorial » exceptionnel doit au contraire être entreprise et qu’il doit être repeuplé en l’intégrant aux grands réseaux de communication : alors il convient de poursuivre la rénovation et de réactiver les lignes qui structurent la région, dans une perspective de décentralisation intra-régionale et de multipolarité.

 En Occitanie, la seule modernisation et réhabilitation du réseau classique et du matériel roulant a été estimée par l’Etat à 1,6 milliard d’euros, l’exact montant sur lequel l’exécutif régional  s’est appuyé pour proposer de le financer à hauteur de 50 %. D’ores et déjà, la région Midi-Pyrénées, avant d’être fusionnée par Paris avec le Languedoc-Roussillon, avait dépensé plus d’un milliard d’euros sur ses fonds propres pour rénover la seule infrastructure ferroviaire régionale appartenant à l’Etat, en particulier le « quart nord-ouest toulousain ».

 L’Occitanie poursuit sur cette lancée, après validation par les Etats généraux du rail organisés en début de mandat, et malgré des ressources financières plus que limitées. A 3,530 milliards d’euros pour 2020, son budget équivaut à environ 10 % du budget de la région fédérée allemande du Bade-Wurtemberg.

Jean-Pierre Farandou reconnaît les « gros efforts » de l’Occitanie et promet des efforts pour les Intercités

 « La Région Occitanie a fait de gros efforts, son matériel s’est beaucoup amélioré », commente Jean-Pierre Farandou : « Mais la SNCF doit faire de gros efforts sur le renouvellement du parc » (dont elle est responsables, NDLR), a admis président du groupe SNCF, évoquant les Intercités : « Parfois, avec les Intercités, c’est comme si on organisait un voyage sur la route en Renault 16… On peut trouver ça original, mais pas très confortable ».

DSCN3320Intercités Marseille-Bordeaux à Montpellier-Saint-Roch. Un matériel ancien et (à l'évidence) insuffisamment entretenu, certes, mais aussi une ligne qui ne dessert plus la Provence au-delà de Marseille, interdisant tout parcours direct entre les deux grandes régions méditerranéennes mitoyennes alors que les villes d'Occitanie bénéficient de relation directes avec la Catalogne. ©RDS

 Quant à l’infrastructure, l’Etat et SNCF-Réseau se sont souvent désengagés, menaçant récemment de laisser fermer la section centrale de la ligne des Cévennes Nîmes-Clermont-Ferrand. C’est la région Auvergne-Rhône-Alpes qui a dû venir au secours des 75 km séparant Langogne (Occitanie) de Saint-Georges d’Aurac (Auvergne). SNCF-Réseau, jugeant l’effort de cette région insuffisant pour effectuer des travaux pérennes, a même refusé d’abonder au budget prévu.

Carole Delga espère que ces 800 millions d’euros constitueront un « effet de levier » incitant l’Etat à abonder d’autant

 Comme il était évident que l’Etat et la SNCF n’étaient pas prêts à endosser les 1,6 milliards d’euros nécessaires au réseau occitan, Carole Delga estime que l’engagement de la région constituera un « effet de levier » qui poussera les administrations centrales à effectuer un pas symétrique. Ce qui, aux yeux de nombreux observateurs, paraît malheureusement assez peu probable alors même que l’argent régional ira massivement à la rénovation de lignes propriétés de l’Etat.

 Carole Delga a commenté : « C’est un choix politique fort… Bien sûr, j’aurais aimé que l’Etat assume, mais ce n’est pas le cas. Si nous voulons avancer, nous devons assurer cet investissement qui, au final, sera bénéfique à tout le territoire ».

DSCN3372Entre Nîmes et Le Grau-du-Roi, bâtiment et débords fret désaffectés à Vauvert. Magré une activité économique et commerciale notable, les trafics fret de ces communes périurbaines sont abandonnés par le rail. L'entreprise de revitalisation des dessertes fines, souhaitée par l'Occitanie, ne sera pas de tout repos... ©RDS

 Carole Delga a ajouté dans la foulée : « Le train est le moyen de transport idéal pour assurer l’équilibre territorial (…). Nous avons déjà augmenté l’offre de trains régionaux liO de +11% avec 72 trains régionaux supplémentaires par jour ». L’objectif affiché du Conseil régional est de passer de 66.000 à 100.000 voyageurs TER par jour, avec un quadruplement aux heures de pointe.

Depuis 2016, l’Occitanie a investi 530 millions d’euros dans le matériel roulant TER

 Depuis 2016, l’Occitanie a investi 530 millions d’euros dans le matériel roulant TER avec 72 rames neuves, dont une partie en remplacement des Z2 en voie de ferraillage après avoir été recouvertes de « tags ». Plus contestable, elle finance un plan d’acquisition de rames propulsées à l’hydrogène pour éviter de réélectrifier la ligne Montréjeau-Luchon dont la réouverture est prévue. Ces 35,6 km constitueront donc un îlot sans caténaires dans un environnement ferroviaire entièrement électrifié depuis la compagnie du Midi.

IMG_20200714_172548Embarquement dans un Régiolis flambant neuf à Alès. Financé par l'Etat dans le cadre du transfert de l'ultime Intercités de  la ligne des Cévennes aux régions, ce type matériel est par ailleurs en cours d'acquisition par la région Occitanie.  ©RDS

 Les lourds investissements en équipements au sol – et en matériel roulant - nécessités par l’hydrogène pour une section aussi courte paraissent hors de proportion. La réouverture de la ligne, initialement prévue pour 2020, a été reportée après réévaluation à la hausse du coût des travaux. La voie sera dotée de rails lourds de réemploi issus de la ligne du littoral récemment rénovée.

 Outre Montréjeau-Luchon, trois autres projets de réouverture engagés par l’Occitanie

 Rappelons d’autres projets de réouvertures menés par la région Occitanie : Alès-Bessèges (32 km), prévue pour 2026 ; Rodez-Séverac-le-Château (44,7 km) à l’horizon 2025 ; Limoux-Quillan (28 km) à l’horizon 2025. Les efforts récents de rénovation des « petites » lignes de la région, souvent en cofinancement SNCF-Réseau - Région, ont porté sur la section sud de la ligne Nîmes-Clermont-Ferrand, sur La Bastide-Mende, sur quelques points de la ligne Béziers-Neussargues, sur Carcassonne-Limoux, sur Toulouse-Auch…

 Notons enfin que la rencontre entre Carole Delga et Jean-Pierre Farandou a abordé le délicat sujet de la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan ou « LNMP ».

LNMPCarte synthétisant le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan et ses différentes phases. Si l'idée d'une gare TGV en pleine ligne nouvelle à Rivesaltes près de Perpignan a été abandonnée au profit de raccordements permettant la desserte de la gare centrale, les gares nouvelles de Narbonne (suspendue sur viaduc) et Béziers (proche de l'autoroute) restent pour l'instant inscrites au projet. Si elles étaient réalisées, on ne compterait pas moins de quatre gares TGV sur le corridor CNM+LNMP, soit 216 km. Cette moyenne d'une coûteuse gare TGV tous les 50 km environ contrevient évidemment au pricipe même de la grande vitesse. (Doc. https://www.ligne-montpellier-perpignan.com/)

Les deux responsables ont confirmé l’ouverture de l’enquête d’utilité publique en 2021 pour le seul tronçon Montpellier-Béziers, soit 52,3 km de Lattes à Villeneuve-les-Béziers plus 7 km de raccordements. Cette section est prévue, comme le Contournement de Nîmes et Montpellier, pour accueillir des circulations mixtes fret et TGV. Elle offre le triple avantage de cette polyvalence de circulations, du raccourcissement d’environ 14 km (21 %) par rapport à l’itinéraire historique via Sète, et d’un éloignement de la zone côtière alors que la ligne historique court sur un étroit lido entre Sète et Agde.

L’espoir de voir enterrer le projet de gare nouvelle de Béziers sur la future LGV

 La région Occitanie entend reporter sine die la projet de gare nouvelle à l’est de Béziers, actuellement prévue pour donner correspondance avec… l’autoroute A9, un comble pour une localité biterroise qui est un noeud ferroviaire, amorce de la ligne vers Neussargues. « Si ce report devenait définitif (et c'est souhaitable), (il) impliquerait une évolution non négligeable du projet entre Béziers et Narbonne », explique la rédaction du site spécialisé transportrail.canalblog.com.

DSCN2919Rame TER Occitanie ex-Languedoc-Roussillon à Nîmes-Pont-du-Gard. Les voies TGV passent en surplomb. Malgré des correspondances TER-TGV (contrairement à la gare nouvelle de Montpellier-Sud-de-France), cet établissement illustre l'exclusion contre-productive des circulations à grande vitesse des villes-centres, de leurs réseaux de transport urbain et, en ce cas précis, de l'important noeud ferroviaire régional que constitue la gare centrale de Nîmes. Il serait bienvenu de ne pas renouveler l'expérience à Béziers... ©RDS

 De fait, cela induirait sur cette section aval la réactivation de l’ancien projet de gare d’Ensérune, à mi-chemin entre Béziers et Narbonne, deux cités distantes de seulement 26 km. Cette gare TGV offrirait une correspondance avec la ligne classique, ses TER et ses Intercités. Autre hypothèse, celle d’une philosophie de type SEA (Tours-Bordeaux), sans aucune gare nouvelle intermédiaire, les TGV ne desservant éventuellement que les gares anciennes grâce à des raccordements. L’expérience douloureuse de la vive contestation des coûteuses gares TGV de Nîmes-Pont-du-Gard et Montpellier-Sud-de-France, cette dernière sans aucune correspondance TER, devrait servir de leçon.

 Il restera la question sur la non-mixité prévue de la ligne au sud de Béziers, alors que la ligne classique de bord de mer au sud de Narbonne, qui accueillerait ainsi tout le fret, est particulièrement fragile.

Jean-Pierre Farandou veut « sortir la SNCF d’une posture trop centraliste, avec une vision très parisienne

 On peut espérer que la nouvelle gouvernance de la SNCF prendra mieux en compte les besoins réels des habitants de la région, et plus seulement ceux des voyageurs grands parcours venus passer quelques jours en bord de mer ou assister à  une réunion avec des « provinciaux ». Jean-Pierre Farandou a donné, à ce sujet d’intéressantes assurances : « L’une de mes missions consiste à sortie la SNCF d’une posture un peu trop centraliste, avec une vision très parisienne. Pour moi, une des clés de la réussite du ferroviaire, c’est de développer la SNCF des territoires. Nous travaillons avec la Région Occitanie où nous envisageons de créer un centre opérationnel d’ingénierie pour préparer les travaux de grandes ampleurs au plus près des acteurs du territoire afin de coordonner les mobilités à l’échelle locale ».

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(1) Notre analyse sur le surinvestissement ferroviaire en région Ile-de-France (21 janvier 2020):

45 milliards d'euros pour de nouvelles lignes ferroviaires en Île-de-France : le côté éblouissant de la fracture territoriale - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Quartier de La Défense, à l'ouest de Paris, vu depuis Neuilly (ci-dessus) et depuis l'intérieur (détail, ci-dessous), élément emblématique de la "monstropole" francilienne. Pour le desservir, outre de multiples bus, une ligne de RER, plusieurs de Transilien, une ligne de tramway, une ligne de métro automatisé et bientôt une ligne supplémentaire de RER (E) et une autre ligne de métro automatique (15).

http://raildusud.canalblog.com

 

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  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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