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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
2 octobre 2020

Le rapport Romann sur la pauvreté des liaisons inter-régionales, critique sous-jacente d’un réseau unipolaire

 La régionalisation des services ferroviaires de voyageurs a constitué, dans de nombreuses régions, un puissant levier d’amélioration de l’offre et du trafic. Mais une étude menée pour le ministère des Transports montre que les liaisons inter-régionales sont les grandes perdantes de cette évolution. Entre les grandes lignes radiales centrées presque exclusivement sur Paris et les réseaux intra-régionaux, les insuffisances de liaisons ferroviaires entre régions obèrent considérablement le maillage du territoire et l’attractivité de nombreuses villes françaises.

 On relèvera d'entrée que les « grandes lignes » radiales susmentionnées sont en fait des lignes inter-régionales au départ de l’Ile-de-France. Cette dernière région est ainsi connectée à toutes les autres, alors que les autres sont principalement connectées à l’Ile-de-France mais souvent très mal entre elles, même lorsqu'elle sont contigües.

 Le travail effectué par Dominique Romann, secrétaire de la Fnaut Pays-de-la-Loire, et plusieurs autres militants, pour la Direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) est publié dans le n° 285 de Fnaut-Infos (septembre-octobre 2020)*. Il traite non seulement des liaisons inter-régionales mais aussi des liaisons entre régions voisines de part et d’autre de la frontière nationale.

Si les TER sont plus fréquents sur certaines lignes  grâce à la régionalisation, les hiatus inter-régionaux se sont multipliés

 Les TER ont vu leur fréquence augmenter sur de nombre de liaisons intérieures à chaque région, dont voici quelques exemples : en Auvergne-Rhône-Alpes, sur le sillon alpin, l’étoile lyonnaise (Ambérieu, Vienne, Saint-Etienne, Valence, Roanne, Villefranche-sur-Saône, l’Ouest lyonnais) ; en Provence-Alpes-Côte d’Azur sur Menton-Nice-Cannes-Grasse/Saint-Raphaël, Marseille-Toulon-Hyères, Avignon-Carpentras, Marseille-Avignon ; en Occitanie sur le quart nord-est toulousain (Albi, Rodez, Mazamet) et le sud toulousain, sur Narbonne-Montpellier-Nîmes… En revanche, relève Dominique Romann, des hiatus très contre-productifs se sont multipliés sur les lignes à cheval entre régions. Quant aux relations inter-régionales passe-frontières nationales, elles sont les plus délaissées dès qu’il ne s’agit pas de longues distances.

DSCN0175Neussargues, à la jonction de la liaison Clermont-Ferrand-Arvant-Aurillac et de la ligne des Causses inter-régionale Auvergne-Rhône-Alpes/Occitanie vers Béziers. Depuis Béziers, le nombre de circulations voyageurs va en s'amenuisant en remontant vers le nord (Bédarieux, Millau, Saint-Chély-d'Apcher) pour se réduire progressivement à un seul aller-retour quotidien au nord de Saint-Chély desservant Saint-Flour (sous-préfecture du Cantal, 24.000 habitants dans l'intecommunalité) et Neussargues. ©RDS

 En revanche, cette régionalisation a fragilisé les lignes les moins circulées, laissées en déshérence par le gestionnaire national d’infrastructure qui en a légalement la charge, et entraînant jusqu'à l’intérieur même des régions des ralentissements (ligne des Causses, des Cévennes, Grenoble-Veynes…) et des fermetures jusqu'à récemment (Boën-Thiers sur Saint-Etienne-Clermont-Ferrand, Limoux-Quillan, Rodez-Séverac...).

Le rapport de l’équipe de Dominique Romann souligne la priorité donnée au réseau principal aux dépens des lignes UIC 7 à 9

 D’entrée, le rapport de l’équipe de Dominique Romann souligne la densité du maillage autoroutier qui concurrence fortement les liaisons inter-régionales, de même que la priorité donnée par SNCF Réseau à la régénération et à la maintenance du réseau principal aux dépens des lignes classées UIC 7 à 9, c’est-à-dire les moins circulées, souvent lignes à cheval entre deux régions. Selon lui, 1.500 km de liaisons inter-régionales sont en danger, « en particulier dans les zones montagneuses », car leur maintenance n’est plus financée. On l’a vu entre Auvergne-Rhône-Alpes et Occitanie sur l’axe Nîmes-Clermont-Ferrand, où la section Langogne-Saint-Georges d’Aurac (75 km) a été sauvée de justesse par un financement d’Auvergne-Rhône-Alpes sans aucun apport de SNCF Réseau sous le prétexte que les travaux envisagés ne seraient pas suffisamment pérennes.

 Le rapport souligne que le transfert aux régions de 18 des 24 lignes « d’équilibre du territoire » inter-régionales issues du portefeuille Intercités n’a pas amené, « sauf quelques rares exceptions », de renforcement de dessertes. Cet aspect mérite d’être souligné car la fonction de liaison inter-régionale devrait relever, dans toute organisation géo-administrative de bon sens, de l’Etat central. Dans les Etats fédéraux, les questions débordant le cadre d’une entité fédérée sont par définition prises en charge par - ou sous l'arbitrage de - la fédération, suivant le principe de subsidiarité. En France, l’Etat central paraît ainsi ne considérer comme relevant de son ressort pratiquement que les liaisons, pourtant elles aussi inter-régionales, desservant la capitale ou ses environs. Ce centralisme est donc à l’évidence facteur de désintégration territoriale. L’exemple des liaisons Lyon-Bordeaux, souvent traitées par Raildusud, en est un exemple criant.

Un nombre impressionnant de lignes inter-régionales sous-exploitées voire supprimées

 Le rapport de Dominique Romann liste un nombre impressionnant de lignes inter-régionales sous-exploitées ou/et sous-équipées, voire menacées ou supprimées.

 Il cite, concernant les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) :

 Relations Auvergne-Rhône-Alpes/Bourgogne-Franche-Comté : Bourg-en-Bresse-Dijon ; Lyon-Besançon ; (Lyon) Oyonnax-Saint-Claude (Besançon, Dijon) (section de 33 km récemment fermée contre toute logique de maillage) ; Moulins-Saincaize-Nevers ;  Mâcon-Bourg-Ambérieu, (Lyon) Lozanne-Paray-le-Monial-Moulins-Nevers.

 Relations Auvergne-Rhône-Alpes/Provence-Alpes-Côte d’Azur : Grenoble-Veynes (Sisteron-Aix-Marseille/Gap-Briançon) ; (Valence) Livron-Veynes-Briançon.

 Relations Auvergne-Rhône-Alpes-/Nouvelle Aquitaine : Clermont-Aurillac-Brive ; Limoges-Montluçon-Lyon ; (Brive, Tulle), Ussel-Laqueuille-Volvic (Clermont-Ferrand), toutes sur des liaisons potentielles Bordeaux-Lyon.

IMG_20200714_180050Arrivée à Nîmes-Centre d'un Regiolis en provenance de Clermont-Ferrand par la ligne birégionale desservant Issoire, Brioude, Langogne, La Bastide, Alès... sous un éblouissant soleil d'été après le confinement. Le train était plein et les correspondances assurées par TGV vers Lyon et Paris sur les voies A et B (à gauche) apparemment très courues. ©RDS

 Relations Occitanie/Auvergne-Rhône-Alpes : Lyon-Nîmes/Avignon par la rive droite du Rhône (en cours de réinitialisation partielle mais sans connexion entre les deux régions…) ; Clermont-Ferrand-Arvant-Alès-Nîmes ; (Clermont-Ferrand, Aurillac) Neussargues-Béziers ; (Clermont-Ferrand) Aurillac-Toulouse.

 Relations Occitanie/Nouvelle-Aquitaine : (Agen) Bon-Encontre-Auch (64 km, fermée aux voyageurs en 1970) ; Limoges-Brive-Rodez-Millau (la section Rodez-Séverac-le-Château, 44,7 km, est fermée aux voyageurs depuis 2017) ; Limoges-Toulouse (ligne principale Paris-Toulouse, sous-exploitée sur cette relation).

 Relation Provence-Alpes-Côte d’Azur/Piémont (Italie) : Nice-Breil-tende-Limone (Coni, Turin).

 Relation Provence-Alpes-Côte d’Azur/Ligurie (Italie) : Marseille-Savone-Gênes.

 Relation Auvergne-Rhône-Alpes/Piémont (Italie) : (Lyon, Grenoble) Chambéry-Turin.

 Relations Occitanie/Catalogne (Espagne) : Perpignan-Figueras ; Toulouse-Latour de Carol-Ripoll-Barcelone.

Quelques compléments proposés par Raildusud

 Nous ajouterons à cette liste plusieurs autres relations à l’évidence sous-exploitées ou inexistantes, à cheval entre deux des trois régions étudiées par Raildusud, soit les relations Occitanie/Provence-Alpes-Côte d’Azur/Auvergne-Rhône-Alpes.

 Languedoc-vallée du Rhône au nord d’Avignon. Sur cet axe, plus aucun train direct ne relie les villes moyennes de part et d’autre de la frontière que constitue le Rhône : Narbonne, Béziers, Sète, Montpellier et Nîmes d’une part ; Orange, Bollène, Pierrelatte, Montélimar, Livron, Valence-Ville, Vienne d’autre part. Une coopération inter-régionale du type de celle entre Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte d’Azur pour la liaison TER Lyon-Marseille paraît urgente.

 Languedoc-Provence à l’est de Marseille. Sur ce reliquat de l’axe Bordeaux-Nice, plus aucun train direct ne passe Marseille depuis la suppression de la section Marseille-Nice de la dernière relation Intercités directe ex-« Grand Sud » voici deux ans. Les temps de correspondance à Marseille sont souvent dissuasifs. Sur les relations à moyenne distance, du type Nîmes-Toulon, c’est une disposition profondément contre-productive. Raildusud y reviendra prochainement.

DSCN3153TER Provence-Alpes-Côte d'Azur Hyères-Toulon-Marseille-Saint-Charles à la station en pleine ligne à voie unique de La Crau. Ce service, remarquablement créé par la région voici quelques années, laisse en revanche béant le hiatus vers le Languedoc et la région Occitanie. Pour des liaisons Toulon-Nîmes (195 km seulement), une correspondance exigeant parfois jusqu'à près d'une heure est systématiquement imposée à Marseille-Saint-Charles. ©RDS

 Languedoc (Toulouse et Nîmes)-bassin du Puy et de Saint-Etienne. La suppression de la ligne Langogne-Le Puy constitue un handicap considérable, augmentant la distance entre les deux villes. Le détour via Saint-Georges-d’Aurac (sans parler des correspondances aléatoires) depuis le sud pour atteindre la cité ponote et, au-delà, Saint-Etienne, atteint 74,5 km : la ligne directe Langogne-Le Puy affichait 53,37 km ; le parcours Langogne-Saint-Georges d’Aurac-Le Puy affiche 127,5 km. Sur Nîmes-Saint-Etienne, le kilométrage via la vallée du Rhône atteint 388 km alors qu’il ne serait que de 274,5 km via Le Puy et la ligne directe Le Puy-Langogne. Le passage par la LGV Méditerranée offre certes un temps de parcours inférieur de bout en bout, mais sans aucune desserte des territoires cévenols.

 Du bassin de Montluçon vers l’Indre au nord, la Corrèze au sud.  La suppression, ancienne, de la liaison inter-régionale Montluçon-La Châtre-Châteauroux isole complètement ces deux territoires appartenant à Auvergne-Rhône-Alpes et centre-Val de Loire. De même au sud, avec la suppression récente de la ligne Montluçon-Eygurande-Merlines-Ussel, la frontière s’est un peu plus fermée, en matière de transport public, entre Auvergne-Rhône-Alpes et Nouvelle Aquitaine. Ces réouvertures (vers Châteauroux il s’agirait quasiment d’une reconstruction), signeraient un véritable effort de remaillage d’un territoire en grande souffrance.

IMG_20200713_090259AVE Renfe Lyon-Barcelone entrant en gare de Nîmes-Centre. Les liaisons Occitanie-Catalogne via le tunnel à grande vitesse du Perthus sont systématiquement amorcées loin en amont (Marseille, Lyon, Paris), donnant une grille de liaisons entre les deux régions contigües qui rend dissuasif l'aller-retour dans la journée. Le premier départ de Montpellier vers l'Espagne en temps normal est assuré par l'AVE Marseille-Madrid, à seulement 9h30... et le dernier retour est évidemment trop précoce. ©RDS

 Entre France et Italie, France et Espagne. Si le rapport Romann insiste sur la nécessité de revitaliser les liaisons inter-régionales entre Auvergne-Rhône-Alpes et Piémont, et entre Occitanie et Catalogne, il convient d’insister sur l’importance de liaison de dessertes de proximité : (Lyon) Chambéry-Montmélian-Maurienne-Modane-Suze-Turin ; Avignon-Nîmes-Montpellier-Béziers-Narbonne-Perpignan-Figueras-Gerone-Barcelone, via la LGV avec départs matinaux (sans attendre le passage des TGV ou AVE amorcés en amont), ou via Elne, Argelès-Port-Vendres-Port-Bou par correspondances optimisées. Ces dernières sont en cours d’amélioration.

 En conclusion, les problèmes soulevés par le rapport Romann, au-delà des multiples cas concrets et souvent brûlants, portent très loin. Car ils posent la question du rôle de l’Etat central en matière ferroviaire : coordonnateur et aménageur des liaisons qui dépassent la compétence territoriale naturelle des régions, ou administrateur des intérêts d’une seule d’entre elle, la région capitale ? C’est toute la philosophie institutionnelle du système centralisateur français qui est interpellée.

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(*) Fnaut, 32 rue Raymond-Losserand, 75014 Paris. https://www.fnaut.fr. Abonnement individuel de la version papier : 19 €/an.

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Commentaires
D
Ces liaisons ont souvent été victimes de "mauvais calculs". Pour les transversales à longue distance comme Lyon Nantes (ou plus récemment Nancy/Lyon), les trains directs ont succombé à la mode des TGV intersecteurs, ou l'idée que passer par Paris en TGV mais avec un changement de gare faisait gagner du temps. Sur Lyon Nantes la saturation des lignes en Ile de France ne permet plus de proposer un nombre de fréquences attractif. Sur Lyon Nancy c'est encore plus risible: un TGV via Strasbourg qui met 1h de plus que les vieux corail directs et un TGV via l'Ile de France qui gagne 15 min certes mais circule à des horaires prohibitifs. Or l'expérience montre que les liaisons radiales TGV depuis Paris arrivent à remplir les LGV sans chercher l'apport des voyageurs qui utilisaient les anciens trains intercités transversaux qui se rabattent souvent sur du covoiturage (ou les cars Macron mais avec des temps de parcours pas attractifs). <br /> <br /> A un niveau plus local, on a pu également entendre des responsables régionaux avancer qu'ils n'allaient pas financer une liaison ferroviaire qui permettrait aux étudiants d'aller dans l'université de la région voisine plutôt que dans celle de la capitale régionale...
Répondre
J
CQFD<br /> <br /> Rien à ajouter, tout est dit.<br /> <br /> Pourtant, beaucoup refusent encore d'admettre cette vérité criante.<br /> <br /> Depuis 1970, la régionalisation "politique" a tuée de nombreuses relations inter-régionales...<br /> <br /> Sans doute pour mieux centraliser les transports autour de la "métropole régionale".<br /> <br /> Nos élites locales qui pronnent une décentralisation encore plus grande sont de sacré Jacobins...
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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