Alors que les lancements ou remises en service d’autoroutes ferroviaires se multiplient et que l’ambiance générale est à la relance des trains de fret après la démonstration de leur utilité pendant le confinement sanitaire, l’action de l’Etat en sa faveur paraît laborieuse. La part fret de son plan de financement du rail à 4,69 milliards d’euros paraît pour le moins succinte. De leur côté, les opérateurs sont pourtant à l’offensive. Parmi plusieurs initiatives, citons Transfesa qui ajoute un aller-retour hebdomadaire entre Valence (Espagne) et Dourges, Combronde qui construit une plate-forme logistique à Arles pour Nestlé Waters, VIIA qui relance l’autoroute ferroviaire Calais-Orbassano ce 14 septembre.

 Le volet explicatif du « plan de relance gouvernemental » du ferroviaire, qui tient sur seulement deux pages, évoque le fret de façon brève : « L’accent mis sur le fret ferroviaire vise notamment à soutenir les investissements dans les infrastructures, c’est-à-dire des lignes fret dites capillaires, souvent indispensables pour accéder aux lieux de production (usines, silos à céréales…), mais également à permettre à SNCF Réseau de mieux prendre en compte la compétitivité du fret dans la programmation de ses travaux ».

DSCN2064Circulation fret sur le sillon alpin sud, à Valence-TGV. Après les mesures provisoires du 27 juillet, le plan de relance gouvernemental pour le ferroviaire annoncé le 3 septembre ne tient que sur deux pages. © RDS

 Cette brièveté pourrait s’expliquer par l’attente d’un plan stratégique de développement du fret ferroviaire, annoncé par le ministère des Transports pour janvier prochain, et par les mesures provisoires annoncées le 27 juillet : au deuxième semestre 2020, exonération des redevances de circulation dues à SNCF Réseau et compensées par l’Etat (63 millions d’euros) ; en 2021, division par deux des péages facturés aux tractionnaires.

L’amorce de plan de relance pour le ferroviaire n’a pas répondu aux professionnels du fret

 Il n’en reste pas moins que la présentation le 3 septembre par Jean Castex, Premier ministre, des mesures retenues dans le plan de relance de l’économie n’a pas répondu aux attentes des professionnels du fret ferroviaire. Rappelons que sur 11 milliards d’euros consacrés aux transports, ce plan en dédie 4,7 au secteur ferroviaire entre 2020 et 2022.

 Aurélien Barbé, pour le Groupement national du transport combiné, estime qu’il est encore « trop tôt pour avoir une vision claire de ce plan ». Mais il enchaîne : «  Nous remarquons juste que le groupe SNCF sera attributaire de 4 milliards d’euros. Que restera-t-il effectivement pour le fret ferroviaire ? ». Ces 4 milliards d’euros couvrent grosso modo les pertes essuyées par la SNCF en raison des deux crises de la grève contre la réforme des retraites fin 2019 et du confinement début 2020.

 Le plan de relance de l’économie évoque pêle-mêle une amélioration de la productivité en matière de régénération du réseau, une pérennisation des lignes de desserte fine, une relance des trains de nuit de voyageurs, la construction de plateformes multimodales, d’accessibilité des bâtiments voyageurs et de sécurisation des passages à niveau. Pour André Thinières, responsable de l’association Objectif OFP qui regroupe les opérateurs ferroviaires de proximité, « une clarification s’impose  pour connaître les aides qui concerneront directement le fret ferroviaire ». 

En 2019, les autoroutes ferroviaires en France ont transporté 109.000 unités, représentant une file de camions de 1.400 km

 En attendant, plusieurs opérateurs sont à l’offensive. En 2019, indique VIIA, filiale de la SNCF, les autoroutes ferroviaires (camions et remorques) ont transporté en France plus de 109.000 unités représentant une file de camions de plus de 1.400 km de camions. Tout l’enjeu consiste d’abord à revenir à ce niveau de flux.

VIIARame de remorques de camions embarqués sur des wagons surbaissés à châssis pivotants, technique utilisée par VIIA sur ses autoroutes ferroviaires. (Doc. VIIA)

 Transfesa Logistics, opérateur logistique de la DB et de la Renfe vient d’ajouter un nouvel aller-retour hebdomadaire entre Valence d’Espagne et Dourges, plate-forme multimodale située dans le Pas-de-Calais. La société germano-espagnole explique : « Transfesa continue sa montée en puissance dans l’agroalimentaire, quelques mois après la mise en place d’un service réfrigéré entre l’Espagne et l’Angleterre (…) et développe aujourd’hui son offre pour le transport d’huile d’olive vers la Belgique ».

 L’huile portugaise et espagnole est chargée depuis les plateformes logistiques de Malaga et de Séville jusqu’au terminal ferroviaire de Valence, puis acheminée en train jusqu’au terminal de Drouges delta 3 avant de terminer son trajet par la route vers le marché belge. La traction est assurée par Euro Cargo Rail, filiale de l’opérateur historique allemand DBAG. Transfesa assure « travailler actuellement au développement de son portefeuille dans ce secteur afin de répondre à une augmentation de la demande dans toute l’Europe (volumes et transport vert) ».

Le groupe Combronde monte un plateforme logistique à Arles pour les expéditions de Nestlé Waters (Perrier) par fer vers le nord de la France

 Le groupe Combronde, basé à Thiers dans le Puy-de-Dôme, très actif dans le secteur routier avec 1.300 véhicules mais aussi dans le ferroviaire avec une activité d’opérateur ferroviaire de proximité et de transport combiné, lance un plan ambitieux sur la zone d’Arles. Déjà doté de sept plateformes  multimodales embranchées, Combronde prévoit la construction d'une nouvelle plateforme logistique multimodale à Arles afin d’enlever 15.000 camions par an expédiés par Perrier Vergèze (Gard).

  Prestataire logistique de Nestlé Waters pour sa logistique ferroviaire, Combronde gère les plateformes d'Arles et de Montreuil Bellay pour la distribution des marques Vittel, Contrex et Hépar vers les différents marchés ainsi que les prestations de manœuvres ferroviaires comme sur le terminal Perrier de Vergèze remis en service en 2018 avec l’aide de la région Occitanie après dix ans d’abandon par la SNCF.

CombrondeTraction d'une rame de wagons bâchés par un locotracteur du groupe Combronde. Cette entreprise, active dans le transport routier, investit le secteur ferroviaire et prépare une plateforme logistique multimodale à Arles pour traiter vers la France du nord les expéditions de Perrier (Nestlé Waters) issues de l'usine de Vergèze (Gard). (Doc. Combronde)

 La traction des trains de conteneurs issus de l’usine Perrier de Vergèze vers Fos pour l’exportation est assurée par l’entreprise belgo-états-unienne Regiorail. Désormais Nestlé Waters veut aller plus loin dans le mode ferroviaire afin d’améliorer son bilan environnemental et réduire son budget transport. Désormais ce sont les expéditions vers le nord de la France qui devraient passer au ferroviaires du nord de la France. Dans cette perspective, Combronde prépare pour l’été 2021 une plateforme logistique multimodale de 10.000m2 connectée au réseau ferroviaire sur la zone industrielle du port fluvial d’Arles.

L’autoroute ferroviaire Calais-Orbassano relancée ce 14 septembre cinq fois par semaine

Gérée par VIIA, filiale de la SNCF, la ligne d’autoroute ferroviaire reliant Calais à Orbassano dans la banlieue de Turin via Ambérieu, Modane et le tunnel de faîte du Fréjus, a redémarré le 14 septembre. Le nombre d’allers-retours est fixé à cinq par semaine. La traction de ces trains de remorques de camions et de conteneurs est effectuée par Fret SNCF. Le matériel remorqué est constitué, pour les remorques de camions, de wagons surbaissés construits par Lorry-Rail dont les principaux actionnaires sont la Caisse des dépôts et consignations et Vinci Concessions. La traction est assurée par Fret SNCF.

 VIIA exploite huit autoroutes ferroviaires progressivement remises en service depuis le confinement pour celles qui avaient été suspendues : Le Boulou-Bettembourg (trains de 850 m de longueur), Le Boulou-Calais, Sète-Bettembourg (pour le logisticien turc Ekol), Aiton-Orbassano (autoroute ferroviaire alpine, en partenariat avec Trenitalia),  Barcelone-Bettembourg, Calais-Orbassano, Le Boulou-Mâcon et Mâcon-Calais. Notons que les chemins de fer luxembourgeois (CFL) ont investi 200 millions d’euros dans un nouveau terminal à Bettembourt-Dudelange, qui permettra le transbordement de 600.000 semi-remorques et conteneurs par an, soit une moyenne de 2.000 par jour.

L’alliance de sept opérateurs historiques Xrail mettra son système commun de réservation pour wagons isolés d’ici 18 mois

 Rappelons que Fret SNCF a rejoint en 2018 l’alliance ferroviaire européenne Xrail pour le développement de l’offre de transport en wagon isolé à l’échelle européenne. Il s’agit d’assurer un haut niveau de suivi aux chargeurs pour leurs petits lots de wagons sur le réseau des sept entreprises ferroviaires « historiques » constituant l’alliance Xrail, et permettre ainsi au fret ferroviaire de constituer une « alternative fiable au transport routier ».

xrailFaisceau de rames fret. Après avoir liquidé le wagon isolé, fermé des centaines de gares fret et de nombreux triages, la SNCF a dû partiellement faire machine arrière avec le système "Multi-lots Multi-clients". Mais le défi aujourd'hui réside d'une part dans le maillage du territoire pour accéder aux entreprises en évitant au maximum les ruptures de charges, et d'autre part dans la fiabilisation des parcours de wagons dans un système complexe... et à l'échelle de l'Europe. (Doc. Xrail)

D’ici 18 mois, les sept partenaires de Xrail AG mettront à disposition de leurs clients un système commun de réservation de capacité basé sur des plans de transport consolidés afin d’apporter des réponses adaptées aux besoins de chacun. Fret SNCF fait savoir qu’il teste en ce moment les échanges de messages informatiques pour la réservation de capacité de bout en bout au titre du standard Xrail en bilatéral avec CFL Cargo et CFF Cargo, et prochainement avec DB Cargo.

Les partenaires s’engagent tous « à assurer une meilleure fiabilité du service, en respectant les jours et heures d’arrivée estimés communiqués lors de la réservation avec une traçabilité sans couture de bout en bout ». Reste la question des derniers kilomètres. Seule une desserte fine du territoire par le réseau ferroviaire peut pemettre d'éviter les ruptures de charges et de modes.  Mais pour ce volet de la relance ferroviaire, la question relève de SNCF Réseau et, éventuellement, de régions dotées de vrais moyens et d'une autorité sur des lignes dont elles auraient la gestion.