Bordeaux-Clermont-Ferrand, ou l'éloignement de deux grandes villes par le démaillage du réseau ferré inter-régional
Entre Clermont-Ferrand et Bordeaux, la fermeture à tout trafic de la section Laqueuille-Ussel de la « ligne des Puys » a rendu cauchemardesque tout voyage en train de la capitale auvergnate à Bordeaux et retour. Au moment où Railcoop entend relancer les relations Lyon-Bordeaux par le nord du Massif central, il est intéressant d’analyser les conséquences que peut avoir la fermeture d’une simple section sur l’ensemble de l’attractivité et de la productivité du réseau.
Aujourd’hui, la SNCF et les TER permettent théoriquement une liaison Clermont-Ferrand-Bordeaux avec changement à Montluçon. La future relation Lyon-Bordeaux de Railcoop, si elle voit le jour, transitera par Saint-Germain-des-Fossés, Gannat et Montluçon et pourrait jouer un rôle. Saint-Germain-des-Fossés se situe à 65 km au nord de Clermont-Ferrand, Gannat à 42 km. Mais par rapport à la « ligne des Puys », une liaison Clermont-Ferrand-Bordeaux avec correspondance à Gannat (avec éventuellement deux tarifications et billettiques différentes, SNCF et Railcoop), resterait pénalisante : 400 km via Ussel et la « ligne des Puys » ; 494 km via Montluçon avec correspondance à Gannat, soit un allongement kilométrique de 23,4 %…
La relation Clermont-Ferrand-Bordeaux la plus courte interrompue pour 83,98 km fermés aux voyageurs, soit 21 % du parcours
La section de la « ligne des Puys » fermée à tout trafic n’est longue que de 39,7 km, entre l’embranchement de la ligne du Mont-Dore à la sortie de la gare de Laqueuille et Ussel. Mais la section fermée au trafic voyageurs est plus longue puisque les TER en provenance de Clermont-Ferrand ont pour terminus Volvic, à 44,28 km en amont de Laqueuille. Seul le trafic d’eaux minérales du Mont-Dore poursuit au-delà de Volvic (lire nos articles des 30 juillet et 18 août derniers). La section fermée aux voyageurs est donc longue de 83,98 km, soit 21 % du parcours ferroviaire Clermont-Ferrand-Bordeaux abandonné.
Ci-dessus : vue panoramique de la gare abandonnée d'Eygurande-Merlines, entre Clermont-Ferrand et Ussel. Situé sur la 'ligne des Puys", cet établissement a vu disparaître ses derniers trains en 2014, après avoir vu passer le "Ventadour" Bordeaux-Clermont-Ferrand et auparavant un Bordeaux-Lyon. Eygurande-Merlines, dont la gare comporte trois corps de bâtiment principaux, était à l'intersection de la transversale (Bordeaux) Ussel-Clermont-Ferrand (Lyon) et de la ligne radiale (Paris) Montluçon-Bort (Aurillac). De cette étoile ferroviaire inter-régionale maillant fortement le Massif Central, il ne reste rien. (Doc. lacorrèze.com)
Ci-dessus : vue hivernale de la même gare d'Eygurande-Merlines et ses cinq voies à quai, à l'époque (indéterminée) de ses plus forts trafics. La ligne d'Aurillac a été fermée en 1950 suite à sa submersion par les eaux du barrage de Bort-les-Orgues. La ligne de Montluçon a été fermée en 2008, privant au passage la station thermale d'Evaux-les-Bains de sa clientèle ferroviaire. Les lignes d'Ussel et de Clermont-Ferrand ont été fermées en 2014. (Doc. lacorreze.com)
Le président du conseil régional de Nouvelle Aquitaine, Alain Rousset, a formulé le vœu de rouvrir cette « ligne des Puys » (notre article du 23 septembre 2019) mais il y a loin de la coupe aux lèvres dans un pays comme la France. D'autant que le service de cette ligne ne serait pas sur le territoire géré par Bordeaux, les quatre cinquièmes du linéaire se situant en Auvergne-Rhône-Alpes (82 km sur les 105 km séparant Ussel de Clermont-Ferrand). Les trains circulaient sous pavillon TER Auvergne de Ussel à Clermont. Un propos probablement destiné à l'intention du président de la région voisine, Laurent Wauquiez, lui reprochant ainsi d'avoir laissé la ligne fermer.
L’étranglement de cette relation transversale a connu trois étapes récentes. En 2013, le train Bordeaux-Lyon via Montluçon, qui offrait un accès à Clermont-Ferrand grâce à une correspondance à Gannat, a été limité à Limoges. Mi-2015, le Bordeaux-Clermont-Ferrand « Ventadour » était limité à Ussel avec relais par autocar dû à la fermeture aux voyageurs de la ligne Ussel-Laqueuille-Volvic. Fin 2017 était relancée une circulation quotidienne Bordeaux-Montluçon par TER Nouvelle-Aquitaine, ainsi qu’un Bordeaux-Ussel les fins de semaines rétablissant, très théoriquement, une relation Bordeaux-Clermont-Ferrand avec correspondance. On va voir que cette opportunité est malheureusement très mal exploitée.
Bordeaux et Clermont-Ferrand, deux grandes cités distantes de 400 km par le plus court itinéraire ferroviaire, ne sont de facto plus reliées
Il est surprenant de constater que ces deux grandes cités que sont Clermont-Ferrand, siège de Michelin, et Bordeaux, métropole nationale, ne sont de facto plus reliées par trains « vendables ». Car les solutions proposées par la SNCF sont ouvertement dissuasives et sans commune mesure avec l’horaire 1992 du Corail Bordeaux-Lyon par Ussel et la « ligne des Puys » qui mettait Bordeaux à 5 h 57 mn par Clermont-Ferrand sans changement. Il fut ensuite renommé « Ventadour » et limité à Clermont-Ferrand
Aujourd’hui, pour relier Bordeaux à Clermont-Ferrand par le Massif central, c’est le parcours du combattant. Le voyageur est confronté à des temps de trajet interminables, à des correspondances aléatoires, quand elles sont assurées. Résultat : soit le voyageur prend son mal en patience, soit il renonce au train ou alors il se laisse téléguider par un copieux détour par Paris, Saint-Pierre-des-Corps, voire Lyon.
La gare d'Eygurande-Merlines vue depuis l'arrière du Ventadour en 2006. Un vaste plateau de voies conçu pour un noeud ferroviaire important, déjà presque désert avant le coup de grâce de 2014. © François Gendron, RDS
Aujourd’hui, des parcours entre 6 h 31 mn et 7 h 59 mn via Paris, Saint-Pierre-des-Corps ou Lyon avec des changements dissuasifs
Le site SNCF offre neuf possibilités quotidiennes en semaine, d’une durée comprise entre 6 h 31 mn et 7 h 59 mn, soit en Intercités et TGV avec un changement à Paris et transfert entre gares de Bercy et Montparnasse, soit en Intercités, TER et TGV avec changements à Nevers et Saint-Pierre-des-Corps ou avec changements à Lyon-Part-Dieu et Massy ou Paris ! On a su faire plus simple et moins cher.
Le site SNCF.com principal ne prend pas la peine de proposer le trajet désormais « multimodal » par Ussel. Et pour cause. Les horaires tels que reconstitués donneraient le tableau suivant, Le trajet Clermont-Ferrand-Ussel est assuré par autocar, le trajet Ussel-Bordeaux par train TER.
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Dimanche |
Vendredi et dimanche |
Semaine |
Clermont-Fd |
14h13 |
15h17 |
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Ussel |
15h53 |
16h57 |
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Pas de correspondance pour quelques minutes! |
OK bonne correspondance |
Rien |
Ussel |
15h46 |
17h07 |
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Bordeaux |
20h10 |
21h30 |
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Vendredi |
samedi |
Semaine |
Bordeaux |
16h58 |
08h28 |
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Ussel |
21h24 |
12h50 |
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Pas de service aligné sur ce train |
OK bonne correspondance |
Rien |
Ussel |
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13h00 |
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Clermont-Fd |
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14h40 |
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Tableaux résumant les liaisons (ou leur absence) proposées par la SNCF et les TER sur la relation entre Bordeaux et la capitale de l'Auvergne, Clermont-Ferrand, avec un mix trains TER (Bordeaux-Ussel) et autocars TER (Ussel-Clermont-Ferrand).
Même avec l’autocar, les marges de « progrès » sont considérables pour ce parcours de 400 km : il n’existe aucun service excepté les fins de semaines et des correspondances sont manquées pour quelques minutes. Rappelons que derrière ce parcours Bordeaux-Clermont-Ferrand, se cachent de multiples origines-destinations telles que celles reliant Libourne, Coutras, Périgueux, Tulle, Brive ou Meymac à Clermont-Ferrand et au-delà.
La relation, possible depuis fin 2017, avec correspondance à Montluçon offre un spectacle pitoyable et le TER Bordeaux-Montluçon va être supprimé
Si l’on étudie la liaison Clermont-Ferrand-Bordeaux via Montluçon, le bilan est n’est guère meilleur. Le TER Bordeaux-Montluçon restauré fin 2017 par la région Nouvelle-Aquitaine seule (alors que Montluçon est situé en Auvergne-Rhône-Alpes), assure les trois-quarts du parcours entre Bordeaux et Clermont-Ferrand mais la relation dans son ensemble offre un spectacle pitoyable.
Depuis décembre 2017, dans le sens Bordeaux-Auvergne, la correspondance à Montluçon avec le TER Auvergne-Rhône-Alpes vers Clermont-Ferrand a vivoté, tantôt en 6 ou 7 minutes (ce qui n’autorise pas un retard supérieur à 10 min sans quoi la correspondance n’attend pas) ou à… 0 minute, ce qui oblige d’attendre le TER suivant 1 h 30 mn plus tard. Ce TER Bordeaux-Montluçon a lui-même été supprimé plusieurs semaines les vendredis, journée où le potentiel de voyage longue distance est accru. Il faut attendre les week-ends pour obtenir une correspondance à 20 minutes, ce qui est dans la norme de sécurité. Cette absence de stabilité de la grille horaire dégrade les possibilités de fidélisation.
Vue antérieure à la guerre de 1914-1918 de la gare de Montluçon-Ville avant que la marquise de type compagnie Paris-Orléans ne fût détruire par les bombardements alliés à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Sur l'un des principaux itinéraires Bordeaux-Lyon, Montluçon était au centre d'une étoile ferroviaire à neuf destinations : vers Guéret, Gannat par Commentry et Lapeyrouse, Volvic par Lapeyrouse, Volvic par Néris-les-Bains et Gouttières, Eygurande-Merlines, Châteauroux, Moulins par Commentry, Bézenet, Bourges. Il n'en reste que trois : Guéret, Gannat et Bourges.
Dans le sens Auvergne-Bordeaux, la correspondance à Montluçon depuis Clermont-Ferrand est longue de 2 heures et n’est donc pas commercialisée en ligne. Malgré ces handicaps, le TER Bordeaux-Montluçon reste le trajet le plus pratique pour relier Bordeaux et l’Auvergne. Mais son potentiel commercial est asséché : instabilité des horaires, correspondances aléatoires, absence de communication, absence de vente en ligne pour le sens Auvergne-Bordeaux sur les sites internet.
La suppression de ce TER Bordeaux-Montluçon est d'ailleurs annoncée pour décembre selon nos dernières informations. Ce sera une énième dégradation pour les relations entre Bordeaux et l'Auvergne. La Creuse, l'Allier, les petites et moyennes villes desservies seront privées de capacité d'arrimage aux grandes villes, au cabotage et au réseau. Clermont Ferrand et Bordeaux s'éloignent encore un peu plus à cause d'une frontière administrative et politique tenace et d'une absence de stratégie en matière de transport, en principe, au au bénéfice du service et des usagers.
Le manque de coordination entre régions et de volonté d’Auvergne-Rhône-Alpes aggrave la situation
Finalement, on peut voir ce TER Bordeaux-Montluçon comme un faux départ en l’absence de relais efficace vers Clermont-Ferrand ou Lyon par le fait de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Voilà encore une liaison qui souffre du manque de coordination entre les régions et de volonté de l’une d’entre elles, de quoi aggraver la situation de cul-de-sac ferroviaire de Montluçon.
Restent les « cars Macron », ou « Services librement organisés » (SLO). Flixbus proposait le 1er septembre 2020 trois circulations Clermont-Ferrand-Bordeaux en respectivement 4 h 50 mn, 5 h 20 mn et 5 h 40 mn. La première, la plus rapide, impose un départ à 2 h 20 du matin de la capitale auvergnate.
Vue prise depuis l'arrière d'un Lyon-Bordeaux Corail en 2006 après croisement avec un TER assuré en X72500 en gare de Négrondes (Dordogne), sur la ligne au profil favorable et toujours exploitée Limoges-Périgueux, autrefois à double voie, mise intégralement à voie unique en 1962. Les trains Bordeaux-Lyon par Montluçon et retour y passaient jusqu'à leur suppression en décembre 2012, pour l'horaire annuel 2013. © François Gendron, RDS
Entre les deux villes, les deux premières ne desservent que Périgueux (en banlieue, à Créavallée Nord) et seule la dernière assure un cabotage avec 4 arrêts intermédiaires (outre Périgueux, Ussel, Tulle et Brive). Malgré l’autoroute, le car, quand il assure ce cabotage qui seul permet une multiplication des origines-destinations et donc une bonne irrigation du territoire, ne fait pas mieux que le train voici trente ans sur des lignes déjà souvent en mauvais état. Quant aux correspondances avec des lignes ferroviaires affluentes et à la stabilité des tarifs, mieux vaut ne pas y penser.
François Gendron, Michel Léon