Malgré l'état alarmant des finances des transports publics consécutif à la crise sanitaire, le nouveau maire de Montpellier et président de Montpellier Méditerranée Métropole, Michaël Delafosse, passe à l’acte : dès ce mois de septembre 2020, l’accès au réseau de tramway et de bus de Montpellier sera gratuit les samedis, dimanches et fêtes, a-t-il annoncé en conseil de Métropole le 31 juillet, suivi d’un vote favorable. Le coût pour les finances métropolitaines, et donc les contribuables, est évalué à 25 millions d’euros en année pleine, soit le prix d’achat d’environ huit rames de tramways neuves chaque année, ou celui d'un kilomètre de ligne nouvelle de tramway en milieu urbain, matériel roulant compris (à proportion), ou encore deux ou trois kilomètres de tramway en milieu suburbain, matériel roulant compris (à proportion).

 Autant dire que sur un seul mandat de six ans, cette seule première mesure coûtera l’équivalent d’une quinzaine de kilomètres de ligne nouvelle de tramway en milieu suburbain, c’est-à-dire dans les zones qui en ont le plus besoin. Pour Bruno Gazeau, président de la fédération d'associations d'usagers Fnaut, cette gratuité est « une idée assassine » (1)

La gratuité sera systématisée d’ici le milieu du mandat, soit un coût quadruplé

 Mieux encore : d’ici le milieu du mandat, soit environ trois ans, la gratuité devrait être étendue à l’ensemble de la semaine, soit un coût environ quadruplé. Certes, le nouveau président de la métropole, socialiste élu grâce à l’alliance avec une partie de l’extrême gauche et des écologistes parmi les plus radicaux, a pris soin de borner la mesure en la limitant aux résidents des 31 communes de cette intercommunalité de 470.000 habitants.

DSCN2997Rame Citadis 402 de la ligne 1 du tramway de Montpellier, stationnant sous l'immense ombrière de la station Occitanie, face à la nouvelle faculté de Médecine - qui fête cette année son 800e anniversaire. Avec le manque à gagner de la gratuité, le temps des grandes réalisations de transport risque d'être compromis. ©RDS

 La circulation gratuite dans les tramways nécessitera l’obtention d’un « pass » (laisser-passer) qui sera délivré pour une période donnée sur justificatif de domicile. Pour que cette contrainte permette de maintenir un comptage (indispensable pour l’exploitant) des flux, il faudrait exiger une validation à chaque montée, ce qui n’est pour l’instant pas précisé. Et comment verbaliser un voyageur qui n’aurait pas validé alors qu’on lui reconnaît le droit de voyager gratuitement ?

Selon un élu pro-gratuité, c’est l’équivalent de la gratuité de l’école… Alors, pourquoi pas l’eau ?

 Le maire de Grabels et conseiller métropolitain René Revol (extrême gauche), a plaidé la dimension sociale de la mesure : « Certains députés étaient contre la gratuité de l’école (en 1902). Aujourd’hui, nous sommes au siècle du changement climatique. Les transports en commun, c’est  notre école d’aujourd’hui ». L’argument, ne manque pas de sel dans la bouche d’un élu qui, s’il avait exigé et obtenu la remunicipalisation de l’eau durant la précédente mandature, n’avait jamais plaidé pour sa gratuité alors que l’eau est un bien de base essentiel et universel.

 L’argument social paraît à l'analyse non seulement contestable mais contre-productif.  Contestable car, comme le soulignent l’Union des Transports Publics (UTP, qui regroupe les exploitants) et la Fnaut (associations d’usagers), cette mesure va priver le réseau de ressources permettant son amélioration et son extension, en particulier vers les périphéries où sont souvent rejetées les familles expulsées des villes-centre en raison du prix du logement. Or, soulignent ces fédérations, pour que l’accès au transport public soit un élément de justice sociale et d’économie environnementale, encore faut-il qu’il soit possible, c’est-à-dire que les fréquences et les vitesses d’exploitation permettent un basculement depuis l’automobile.

 Contre-productif avec cet autre paradoxe soulevé par cette gratuité apparemment « sociale » et « environnementale » : celui du service rendu par rapport à la contribution financière de chacun. Avec la gratuité, c’est l’impôt qui paiera la totalité du transport public. Or les populations du centre de la ville souvent aisées bénéficieront, en contrepartie de leur effort fiscal dédié au transport public, d’une prestation infiniment supérieure à celle des habitants d’une commune de périphérie expulsés du centre en raison du coût trop élevé du logement.

La contrepartie transport de la contribution fiscale d’un habitant de la périphérie est considérablement inférieure à celle d’un habitant du centre

 Un habitant de Castries, commune de la métropole située à 18 km du centre de Montpellier, ne dispose que d’une liaison à la demi-heure par bus jusqu’à la correspondance tramway (ligne 2) pour se rendre en ville. La contrepartie de sa contribution fiscale est donc considérablement inférieure à celle de l’habitant d’un quartier central de Montpellier, qui dispose de 4 lignes de tramways et d’une dizaine de lignes de bus. L’habitant de Castries continuera de devoir prendre sa voiture alors qu’il paie la totalité du transport public sur ses impôts. Pire : un habitant de Palavas (12km) ou de Mauguio (14,5km), communes plus proche que Castries du centre de la métropole mais qui n’en font pas partie, devrait être privé de gratuité car il paie ses taxes à une autre intercommunalité. Quant aux personnes âgées immobilisées, elles paieront pour un service qu'elles n'utiliseront jamais.

DSCN2960Rame Citadis 402 de la ligne 2 du tramway de Montpellier à proximité de la gare Saint-Roch, en provenance de Jacou et Notre-Dame de Sablassou. L'habitant de Castries, contribuable métropolitain, bénéficie d'une prestation transport public infiniment inférieure à celle de l'habitant du centre de Montpellier, l'empêchant généralement d'utiliser l'autobus et sa correspondance tramway. Avec la gratuité, le paiement ne sera plus proportionné à l'usage. ©RDS

  Ainsi l’égalitarisme affiché cache-t-il de foncières inéquités réelles, avec un paiement qui n'est plus du tout proportionné à l'usage. Or dès à présent plus de la moitié du coût réel d'un voyage est déjà financé par l'impôt.

 Jusqu'ici, les tarifs étaient déjà largement modulés selon les conditions de revenu. Les familles nombreuses, les demandeurs d’emploi à faible indemnisation ou les personnes en grande précarité bénéficient déjà de tarifs favorables, voire de la gratuité. Les salariés bénéficient d’abonnements à usage illimité cofinancés par l’entreprise, la métropole et l’usager. Les étudiants contribuent dans la moyenne nationale.

 Enfin, le prix du carnet de dix voyages a été abaissé à 10 euros au début de la précédente mandature, réduisant le trajet simple à 1 euro, promesse de campagne du précédent maire de Montpellier Philippe Saurel (divers gauche), qui avait entraîné une forte hausse des ventes.

Le quotidien régional n’a donné la parole qu’à des personnes se sont dites « enthousiastes »

 Annonçant la nouvelle de l’application de la gratuité dès septembre, le quotidien régional en situation de monopole (2) a donné la parole à cinq personnes choisies « au hasard »… qui toutes se sont prononcées avec enthousiasme en faveur de cette nouvelle mesure. Ce journal qui se confond ainsi avec un organe de la municipalité, n’a toutefois pas pu éluder – mais l’a réduite toutefois à un seul mot - la réaction de Max Lévita, ancien adjoint aux finances de Philippe Saurel, qui durant les débats a jugé « impossible » le financement de la gratuité.

 Alenka Doulain, conseillère d’opposition (gauche écologiste, ex-EELV), a pour sa part exigé une première évaluation de cette gratuité de fin de semaine, et demandé que les abonnés ne soient pas lésés en revoyant les tarif des abonnements.

La ligne 5 sud va être réalisée, l’extension de  la ligne 1 vers Sud-de-France mise à l’étude… alors que Delafosse a promis de faire rapatrier des TGV sur la gare Saint-Roch

 Notons enfin que lors de l’annonce de cette amorce de gratuité en conseil de Métropole, le président Delafosse  a annoncé un démarrage des travaux de la partie sud de la future ligne 5 (Lavérune-Clapiers) tandis que se poursuivent ceux de sa partie nord du centre vers Clapiers. Par ailleurs,  des études vont être financées pour l’extension de la ligne 1 de son terminus nord Odysseum jusqu’à la gare nouvelle et controversées de Montpellier-Sud-de-France, soit un linéaire d’environ 1,2 km doté d’un nouveau viaduc au-dessus de l’autoroute A709 (ex-A9), pour un coût estimé à 40 millions d’euros.

 Il est piquant de relever que le même Michaël Delafosse avait pourtant promis durant sa campagne de plaider pour un retour des TGV dans la gare centre de Montpellier-Saint-Roch, privée de la moitié de ses circulations à grande vitesse au profit de la gare nouvelle. Quel intérêt alors de prolonger cette ligne 1, pendant qu’une série de communes périphériques attendent un moyen de transport public décent ?

DSCN2681Tableaux de départs et d'arrivées sous les palmes de béton microfibré de Montpellier-Sud-de-France, la nouvelle gare exurbanisée et controversée de Montpellier. Chasse gardée de TGV, elle n'est desservie par aucun TER et par aucun Intercités Grand Sud. Le nouveau maire avait promis d'exiger le retour des TGV à la gare centrale de Saint-Roch, située au centre du réseau urbain et offrant toutes les correspondances. Pourtant, il décide de mettre à l'étude le prolongement de la ligne 1 vers Sud-de-France, d'un coût projeté de 40 M€... ©RDS

 La réponse partielle à ces communes a été donnée durant la même séance. La nouvelle équipe métropolitaine a promis, par la bouche de Julie Frêche, vice-président chargée des transports et fille du célèbre maire disparu, de mettre en place « des bus à haut niveau de service, notamment pour les communes de l’ouest de la métropole, qui doivent absolument être mieux desservie ». Précisément celles que projetait de desservir l’extension de la ligne 2 sous forme de tramway rapide au-delà de Saint-Jean-de-Védas jusqu’à Poussan en empruntant l’emprise de l’ancienne ligne SNCF Montpellier-Paulhan via Fabrègues/Cournonsec.

 Ce projet de tramway accéléré, porté à l’époque de Georges Frêche par Marc Le Tourneur, alors directeur général de l’exploitant TaM (Transdev), est toujours dans les tiroirs. Le bus, bien qu’à haut niveau de service, devra pour sa part probablement se contenter d’un rabattement sur les terminus des lignes de tramway (2 et future 5) avec rupture de charge. Le « haut niveau de service » a ses limites : celles des solutions à bas coûts.

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(1)    Lire aussi nos articles précédents:

Le patron de Keolis France vent debout contre les propositions de gratuité, " principale menace " sur les transports urbains - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

L'un des principaux exploitants de réseaux de transports publics de France monte au créneau contre les projets de gratuité qui fleurissent avant les élections municipales et intercommunales de mars prochain. Frédéric Baverez, directeur exécutif de Keolis France, filiale à 70% du groupe SNCF, dénonce dans la gratuité " la principale menace qui pèse actuellement sur le transport publics urbain ", étranglé par les restrictions budgétaires.

http://raildusud.canalblog.com

 

Gratuité des transports urbains dans les grandes villes : Bruno Gazeau, président de la Fnaut, dénonce une idée " assassine " - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Tandis que la question de la gratuité des transports urbains est remise sur le tapis de la campagne pour les municipales à Montpellier par le candidat socialiste Michaël Delafosse, comme à Lille par Martine Aubry, le président de la Fédération nationale des usagers des transports (Fnaut) Bruno Gazeau a fermement pris position dans La Vie du Rail.

http://raildusud.canalblog.com

(2)    Midi Libre (groupe La Dépêche du Midi), édition de Montpellier/Lunel, 3 août 2020.