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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
24 juin 2020

Ces « lignes de desserte fine des territoires » qui ne manquent pas de clientèle potentielle mais… de trains

 Une étude statistique de SNCF Réseau sur les « petites lignes » ou « lignes de desserte fine du territoire » et la densité des zones qu'elles desservent a été transmise à l’Etat et aux Régions, rapporte Fnaut-Infos, l’organe mensuel de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports *. Après analyse, la fédération constate que « le problème du TER n’est pas l’absence de clientèle potentielle mais... l’absence de trains ».

 La France des territoires est un cimetière ferroviaire. Les services voyageurs des « lignes de dessertes fines du territoire » ont souvent disparu au fil des décennies, principalement depuis la nationalisation au sein du monopole public, la SNCF, au 1er janvier 1938. La société nationale a ainsi fermé, sur les 50.000 km dont elle avait hérité, plus de 20.000 km de lignes en quatre-vingts ans d’existence. C’est un record en Europe. Simultanément commençait la suppression des lignes départementales ou « d’intérêt local », qui totalisaient quelque 15.000 kilomètres au début des années 1930 et ont totalement disparu depuis. Dès l’entre-deux-guerres les conseils généraux, sous l’influence d’une industrie automobile déjà conquérante, liquidèrent ainsi  un patrimoine considérable.

 Dans maints « territoires » s’est imposée une monoculture de l’automobile, et très accessoirement de l’autocar, les populations n’ayant plus le choix de leur mode de transport.

DSCN1772Vestige du château d'eau de l'ancienne gare de Saint-Martin-en-Haut, dans les Monts du Lyonnais, sur la ligne départementale Messimy-Saint-Symphorien-sur-Coise des Chemins de fer Rhône et Loire (CRL), ouverte en 1914 et fermée en 1935. Ses emprises ont été largement aliénées. A une trentaine de kilomètres de Lyon, les communes qu'elle desservait jadis sont actuellement en forte expansion démographique. ©RDS

Ces « lignes de desserte fine du territoire » sont le reliquat d’un réseau jadis cohérent

 Les « lignes de desserte fine du territoire » qui subsistent ne constituent donc que le reliquat, souvent privé d’effet réseau, d’un ensemble jadis cohérent mais qui ne l’est plus. Elles sont désignées lignes de niveau de trafic 7 à 9 selon les normes de l’Union internationale des chemins de fer, qui ne prennent en compte que le tonnage supporté par la voie et non le nombre de circulations. Il en résulte qu’une ligne exclusivement fret comme celle de la rive droite du Rhône Lyon-Nîmes, qui ne voit passer qu’un peu plus d’une dizaine de mouvements par jour et par sens – mais ce sont des trains lourds – est mieux classée qu’une ligne qui ne voit passer que des TER en autorails légers, même s’il en circule plus. Ces lignes 7 à 9 sont les parents pauvres de la maintenance.

 L’étude de SNCF Réseau établit que 10 % de ces lignes de desserte fine du territoire (LDFT) desservent une zone de chalandise ayant un indice de densité de population et d’emploi égal ou supérieur à 150 par rapport à un indice moyen français de base 100. Ce dernier est établi à partir d’une densité moyenne nationale de 120 habitants et de 50 emplois au kilomètre-carré.

 Suivent 29 % de ces LDFT qui desservent une zone d’indice compris entre 100 et 150, 45 % une zone d’indice 50 à 100, et 16 % seulement une zone d’indice inférieur à 50.

39 % de ces LDFT desservent des zones au moins aussi denses que la moyenne nationale

 Il en résulte que 39 % de ces LDFT desservent des zones au moins aussi denses que la moyenne nationale, 10 % des zones d’une densité supérieure de moitié au moins. « On trouve environ 1,5 fois plus de LDFT desservant des territoires denses que de LDFT desservant des territoires ruraux », souligne Fnaut-Infos. Le « désert français » est moins désertique qu’il n’y paraît.

DSCN2622Bâtiment voyageurs fermé de Boën-sur-Lignon (3.350 habitants sur la seule commune), terminus depuis Saint-Etienne du reliquat oriental de la ligne Saint-Etienne-Clermont-Ferrand fermée en sa partie centrale depuis 2016. Cette antenne dessert Montbrison, à 17km de Boën, ancienne préfecture de la Loire, qui compte 15.700 habitants. Boën est desservi par seulement 6 trains par jour et par sens et aucun ne circule les fins de semaines. Des autocars plus lents complètent le dispositif. Ces fréquences faibles, l'hétérogénéité des modes et l'appauvrissement du nombre de destinations avec la fermeture vers Clermont-Ferrand, entravent le report sur le transport public. ©RDS

 L’analyse est encore plus accablante pour l’autorité publique des transports ferroviaires quand on rapporte le trafic TER de ces lignes de desserte fine du territoire avec la densité de la population et des emplois desservie. Ainsi, si l’on considère les LDFT avec moins de 18 trains par jour deux sens confondus, soit moins d’un train toutes les deux heures par sens, on constate :

-          Que 27 % de ces LDFT à faible densité de desserte sont situées dans des zones de densité supérieure ou égale à l’indice national 100.

-          Que 53 % de ces LDFT à faible densité de desserte sont situées  dans des zones de densité comprise entre 50 et 100.

-          Que 20 % de ces LDFT à faible densité de desserte sont situées dans des zones rurales de densité inférieure à 50.

 « Il y a donc plus de lignes à très faible trafic en zone dense qu’en zone très rurale », relève Fnaut-Infos, alors que ces lignes « les moins circulées, sous exploitées, ne captent pas la clientèle potentielle ». Au total, 36 % des lignes d’indice UIC 7 à 9, soit plus du tiers, ont accueilli en moyenne annuelle moins de 10 trains par jour, soit 5 trains par sens, une fréquence squelettique qui interdit tout report modal sérieux. La sous-exploitation entraîne la sous-fréquentation, laquelle creuse des déficits, lesquels incitent l’exploitant à sous-exploiter un peu plus… ou à fermer.

L’exemple d’une ligne fermée qui traverse des communes de densité élevée : l’étoile de Sommières

 L’étude de SNCF Réseau passe bien sûr sous silence le rapport entre le linéaire de lignes neutralisées ou sorties de son périmètre, et la densité de la population et d’emplois qu’elles auraient pu desservir si elles avaient été maintenues.

 Un exemple frappant est fourni par les lignes (Montpellier)-Les Mazes-Le Crès-Sommières et Sommières-Nîmes-Saint-Césaire-(Nîmes Centre), d’une longueur respective de 28,03 km et 28,90 km. Elles formaient donc un axe de 56,93 km, à peine plus long que les 50 km par la ligne principale via Lunel, même si des trains directs entre les deux grandes villes eussent imposé un rebroussement à Sommières. Elles ont été fermées aux voyageurs le 18 janvier 1970.

SommièresGare de Sommières au début du XXe siècle. Cinq voies à quai plus une voie de transit (à droite) et deux voies de débord sur le flanc opposé du bâtiment voyageurs. Il n'en reste rien. Le vaste bâtiment a été vendu. Toutes les emprises ferroviaires de l'étoile de Sommières sont fermées et progressivement aliénées. Sur l'ancien axe ferroviaire vers Nîmes et Montpellier, la densité de population est largement supérieure à la moyenne française, les communes intermédiaires comptant 33.750 habitants sur 35 km. Tout le trafic est reporté sur des routes surchargées.

 En dehors des zones urbaines de la première périphérie de Montpellier (Le Crès, Vendargues)  et de Nîmes (Saint-Césaire) cet ancien axe Montpellier-Nîmes via Sommières traverse des communes ou intercommunalités à densité élevée. Au centre de l’axe, avec ses 23.100 habitants, la vaste communauté de communes du Pays de Sommières  affiche une densité de 119,10 habitants/km2. Sa commune-centre Sommières, affiche 5.000 habitants et 475 habitants/km2.

  Côté Montpellier, les communes anciennement dotées d’une gare affichent les densités suivantes : Castries, 6.200 habitants et 257 h/km2 ;  Saint-Geniès-des-Mourgues, 1.880 habitants et 165 h/km2 ; Saint-Christol, 1.380 habitants et 122 h/km2 ; Boisseron, 1.990 habitants et 267 h/km2.

 Côté Nîmes, Junas affiche 1.100 habitants et 143 h/km2 ; Congéniès 1.670 habitants et 193 h/km2 ; Calvisson  5.450 habitants et 198 h/km2 ; Nages, 1.740 habitants et 281 h/km2 ; Saint-Dionisy 1.050 habitants et 304 h/km2 ; Langlade 2.100 habitants et 243 h/km2 ; Caveirac 4.190 habitants et 275 h/km2.

Il reste à établir un inventaire des lignes fermées  fort potentiel

 Le chapelet intermédiaire des 12 communes situées entre les deux grandes villes de Nîmes et Montpellier et desservi directement par l’ancienne ligne cumule, hors zone urbaine dense (nous avons ainsi exclu Vendargues et ses 6.300 habitants et 694 h/km2 côté Montpellier), quelque 33.750 habitants. Cette population est répartie sur 35 km de l’ancienne ligne ferroviaire, soit 965 habitants par kilomètre de ligne. Ces douze communes étaient toutes dotées d’une gare et affichent une densité comprise entre 122 h/km2 et 475 h/km2, soit toutes très au-dessus de la moyenne de densité de population en France (120 h/km2). Neuf d’entre elles approchent ou dépassent 200 h/km2.

 Maints autres exemples pourraient être trouvés, dans nos trois régions. Citons entre autres la ligne de la rive droite du Rhône (nos articles du  15 novembre 2019 et du 6 février 2020) fermée aux voyageurs ; Saint-Rambert-d’Albon-Izeaux, dans un Bas-Dauphiné en plein développement ; Albi-Castres, le long d’une route surchargée ; Gardanne-Carnoules par Trets, Saint-Maximin la Sainte-Baume et Brignoles, etc…

 Il reste à établir cet inventaire des lignes fermées à fort potentiel. Mais ce serait aussi l’inventaire de l’imprévoyance des décideurs qui auront privé le pays d’un patrimoine exceptionnel, grevant l’avenir de ses territoires et laissant prospérer la mortalité routière. Ils auront aussi grevé la santé des axes maintenus en service, privés d’un flux monomodal de « lignes de desserte fine des territoires » affluentes qui apportaient au système ferroviaire une clientèle désormais éloignée de lui.

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(*) Lien vers le bulletin Fnaut-Infos contenant le résumé de cette étude :

Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports (FNAUT)

La FNAUT a, depuis longtemps, préconisé la réouverture de certaines lignes ferroviaires, en particulier celles qui sont situées dans les zones denses (Cannes-Grasse) ou lorsqu'elles permettent de rétablir de grandes liaisons interrégionales (Digne - Saint-Auban, Clermont-Ferrand - Ussel). L'expérience montre cependant qu'une simple réouverture (Belfort-Delle) ne suffit pas.

https://www.fnaut.fr

 

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Commentaires
W
Beaucoup d'informations intéressantes, mais le parti pris (sans nuance) en faveur du ferroviaire discrédite un peu l'ensemble.<br /> <br /> Un exemple parmi d'autres : la fermeture de la gare de Sommières s'est-elle vraiment traduite par une surcharge si forte des axes routiers ? Ayant circulé en voiture dans le secteur, je n'en suis pas convaincu. En revanche, la création d'une belle voie verte – qui longe l'ancienne gare transformée en hôtel, où l'on petit-déjeune sur l'ancien quai dont la marquise a été préservée – est l'une des reconversions réussies qui, heureusement, se multiplient en France.<br /> <br /> Autre remarque : vous êtes bien discrets sur le fiasco de la réouverture de Belfort-Delle, gouffre financier sanctionné par la Cour des comptes et la justice administrative... Des trains sans passagers, est-ce un objectif raisonnable ?
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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