Le projet de rétablissement de trains de voyageurs reliant Lyon à Bordeaux par Montluçon avance à pas comptés. La coopérative d’intérêt collectif Railcoop vient de déposer officiellement son projet auprès de l’Autorité de régulation des transports (ART), a-t-elle annoncé le 10 juin (1). La coopérative, basée à Cambes dans le Lot, a pour objectif un début de service à l’été 2022, soit une inscription au service annuel amorcé en décembre 2021. Il n’existe plus de trains directs entre Lyon et Bordeaux depuis 2012, alors que ces deux métropoles sont respectivement la deuxième et la cinquième du pays par leur poids démographique.

Le projet de Railcoop prévoit trois allers-retours quotidiens entre Lyon et Bordeaux

 Le projet initial comporte trois allers-retours quotidiens entre Lyon et Bordeaux, dont un de nuit, avec un temps de parcours de 6 h 47 mn soit environ une heure de plus que via Paris par TGV, ce dernier itinéraire imposant un changement. Voici une vingtaine d'années, trois relations Lyon-Bordeaux étaient proposées chaque jour, deux de jour (une par Clermont-Ferrand et Ussel, une par Montluçon) et une de nuit (par Montluçon). Dans les années 1970-1980 et jusqu'en 1992, on a même compté deux AR quotidiens via Montluçon, l'un d'eux ayant été supprimé par mesures d'économies imposées par l'Etat.

 L'un des avantages du projet est bien sûr d'offrir de multiples possibilités de cabotage, mais aussi de correspondances, puisque Railcoop évalue à  291 le nombre de connexions avec des TER trains ou cars pour chaque circulation nouvelle, tant vers Clermont-ferrand que vers Nevers ou toutes autres destinations.

RailcoopCarte de la future liaison voyageurs par trains Lyon-Bordeaux publiée par Railcoop.

 L'avant-projet de Railcoop, ambitieux, devra résoudre de lourds défis pour un parcours qui affiche 639 km, soit 3.834 km cumulés pour six circulations quotidiennes. La relative saturation des deux extrémités de la ligne, à l’est entre Saint-Germain-au-Mont d’Or et Roanne, à l’ouest entre Coutras et Bordeaux, risque de poser des problèmes d’insertion de trains directs dans la trame TER.

La question de l’insertion dans la trame TER entre L’Arbresle et Roanne

 Entre Saint-Germain-au-Mont d’Or et Roanne, la ligne à double voie non électrifiée affiche un profil tourmenté avec deux sections d’environ 4,5 km affichant respectivement 26 ‰ et 25 ‰ à l’est et à l’ouest du long tunnel des Sauvages (2.940 m). Si cette section ligne est équipée du performant Block automatique lumineux (BAL) entre Saint-Germain-au-Mont d’Or et L’Arbresle, elle n’est équipée que du BAPR (block à permissivité restreinte), qui comme son nom l’indique limite la fréquence, entre L’Arbresle et Roanne. L’insertion de circulations directes dans une trame TER Roanne-Lyon qui comporte par sens un train à l’heure et à la demi-heure en pointes posera donc question.

 Railcoop doit aussi conforter son capital social, avec un besoin de 1,5 million d'euros pour la simple obtention de la licence d'opérateur ferroviaire a indiqué Alexandra Debaisieux, responsable de la communication, dans un entretien diffusé par Franceinfo Auvergne. En cette mi-juin, plus de 700 souscripteurs ont apporté leur contribution alors que l’objectif de la coopérative est d’en avoir réuni 3.000 à la fin de l’année 2020. La prochaine étape pour la jeune entreprise est d’obtenir cette licence ferroviaire et son certificat de sécurité, espérés pour avril 2021, avec lancement d’une première offre fret dans la foulée.

Rtg_limogesRame à turbine à gaz Lyon-Bordeaux en gare de Limoges-Bénédictins à l'été 2003. Depuis 2012, plus aucun train direct ne circule entre les deux métropoles alors que ces circulations desservaient le Massif Central, que ce soit par le nord (Limoges, Montluçon) ou le centre (Ussel, Clermont-Ferrand). (Doc. Wikipedia)

 Les ambitions de Railcoop ne se limitent pas au Lyon-Bordeaux. Le fret régional et plus largement les relations inter-régionales, largement démantelées par une SNCF de plus en plus jacobine et centrée sur les seules relations à longue distance au départ de Paris, forment sa « zone de chalandise » (2).

 La liaison Lyon-Bordeaux projetée via Montluçon, avec ses 6 h 47 mn de temps de parcours, sera moins rapide que la relation Lyon-Bordeaux en TGV via Paris qui affiche entre 5 h 01 mn et 5 h 52 mn. Le voyage SNCF par Paris est proposé soit avec battement d’une heure pour relier les gares de Lyon et Montparnasse, soit via Massy, pour un prix plein tarif 2e classe variant autour de 130 euros. Railcoop devrait proposer le voyage de bout en bout à environ 38 euros seulement. Chaque train devrait offrir entre 100 et 400 places.

Le train cumule des fonctions de liaisons entre l’origine et le terminus avec toutes les combinaisons entre gares intermédiaires

 A la grande différence de l’avion, le train cumule les fonctions de liaison entre l’origine et le terminus avec toutes les combinaisons incluant les gares intermédiaires. Et c’est là que le projet de Railcoop Lyon-Bordeaux prend tout son sens. Ses trains desserviront en effet onze gares gares soit, outre Lyon et Bordeaux, Roanne, Gannat, Montluçon, Guéret, Saint-Sulpice-Laurière (Creuse), Limoges, Périgueux, Libourne.  La desserte de Saint-Germain des Fossés impliquera un rebroussement alors qu’il existe un raccordement direct au sud de la gare, mais permettra des correspondances avec la radiale Paris-Clermont-Ferrand. Deux autres rebroussements seront nécessaires, à Saint-Sulpice-Laurière et Périgueux.

 Cette fonction de cabotage et de maillage est essentielle pour les populations desservies, avec un marché potentiel évalué par Systra de 690.000 voyages annuels. Au total, une centaine de combinaisons d’« origines-destinations » seront possibles par emprunt du seul train de Railcoop. On pense en particulier aux déplacements entre Montluçon et Lyon, actuellement proposés par des combinaisons catastrophiques en matière de temps de parcours et de combinaisons modales (TER+TER via Riom,  autocar+TER via Vichy…) alors que ces deux villes sont désormais situées dans la même « grande région ».

DSCN1886Triplet d'autorails X73500 ex-Auvergne sur une mission TER Montluçon-Clermont-Ferrand, à Gannat. Cette gare vit passer des Genève-Bordeaux, des Lyon-Bordeaux, des Lyon-La Rochelle, tous disparus. Seul le projet de Railcoop peut laisser espérer aux habitants de Gannat et de son bassin le retour de liaisons ferroviaires est-ouest à longue distance, les mettant en liaison directe avec Limoges et Bordeaux autant qu'avec Roanne et Lyon. ©RDS

 De l’autre côté, Montluçon n’est relié à Bordeaux via Limoges que par un seul TER quotidien rétabli par la région Nouvelle Aquitaine plusieurs années la suppression du dernier Intercités par la SNCF. Les relations de Montluçon avec Limoges (154 km) ne sont complétées que par un seul autre TER quotidien direct en 2 heures… et deux combinaisons TER+TER ou TER+autocars dont l’une atteint 4 h 27 mn, un triste record pour cette distance.

De multiples relations entre des bassins de vie autant qu’entre deux métropoles

 Railcoop pourrait rétablir ainsi, si le projet se concrétise, de multiples relations entre des bassins de vie autant qu’entre deux métropoles : Lyonnais, nord de la Loire, Limagne, Allier, Creuse, Limousin, Périgord, Bordelais. Il réaffirmerait ainsi la réalité multipolaire de la France et participerait au retour de l’attractivité de ses  villes moyennes. Cette entreprise serait un premier pas vers de nouvelles offres ferroviaires de ce type axées sur les relations entre territoires, marché presque systématiquement délaissé par une SNCF désormais presque systématiquement centrée sur Paris.

 Reste qu’il faudra que l’infrastructure suive, comme nous l’avons vu pour la section L’Arbresle-Roanne sous-équipée en matière de signalisation. Il faudra que la contraction du linéaire cesse et que les célèbres « petites lignes », ou ce qu’il en reste, soient débarrassées de leurs innombrables ralentissements et offrent des débits potentiels qui ne soient plus ceux d’un pays en voie de sous-développement.

-----

(1) Lien vers notre précédent article sur le projet Lyon-Bordeaux de Railcoop :

Lyon-Bordeaux : Railcoop porte un avant-projet de relance avec trois allers-retours quotidiens via Montluçon en 2022 - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

La liaison ferroviaire Lyon-Bordeaux par le nord du Massif Central pourrait renaître grâce à une nouvelle société coopérative, Railcoop. En 2012, la SNCF avait supprimé le dernier train quotidien reliant Bordeaux à Lyon, qui circulait Périgueux, Limoges, Guéret, Montluçon, Gannat, Saint-Germain des Fossés, Roanne et retour.

http://raildusud.canalblog.com

(2) Lien vers le site de Railcoop :

RAILCOOP | Compagnie de transport ferroviaire

Railcoop est un changement de prisme de lecture du terme "rentabilité". Faire rouler des trains dans les territoires ruraux et entre les petites et moyennes villes, captives de la voiture, est une alternative socialement très attendue. C'est aussi une réponse concrète et coopérative à notre besoin de décarboner les mobilités.

https://www.railcoop.fr