Commentry-Moulins : la fermeture de la ligne scelle le démaillage ferroviaire de l’Allier, département en grande souffrance

 Voici presque un an, le 24 avril 2019, alors que depuis cinq mois la crise des Gilets jaunes manifestait la colère de la France des périphéries et des « territoires » abandonnés des métropoles, le conseil d’administration de SNCF Réseau validait, sous la signature de son président Patrick Jeantet, la fermeture de la section Commentry-Moulins, partie majoritaire de l'axe ferroviaire structurant du département de l’Allier long de 80,65km reliant Montluçon et Moulins.

 La fermeture, qui est précédée d'une consultation de l'Etat, des collectivités locales, des associations d'usagers de la Fnaut, permet la dépose des voies, déjà entamée en l'occurrence à des passages à niveau. Depuis une réglementation datant de 2011, elle implique le retrait de la ligne du réseau ferré national. Mais seul un déclassement ultérieur permettrait l'aliénation des terrains par SNCF Réseau.

 Toujours en 2019 et dans notre zone d’étude du grand Sud-Est, le conseil d'administration de SNCF Réseau ratifiait le 5 novembre la fermeture d’un reliquat de 3km de l’ex-ligne reliant Arles à Port-Saint-Louis du Rhône. Au total en 2019, SNCF Réseau a fermé à toute exploitation potentielle - et donc ouvert la voie à un démantèlement de la superstructure - 166,115km de lignes, après en avoir fermé 307,553km l’année précédente. Même si elle ralentit, la saignée se poursuit. Les réseaux ferroviaires des territoires malades mourront guéris. L’Allier, en grande souffrance, est aux premières loges.

Un nouveau coup de poignard dans le dos d’un Bourbonnais en grave déclin démographique

 L’acte de fermeture de la liaison Commentry-Moulins est un nouveau coup pour ce territoire bourbonnais qui connaît un déclin économique et démographique dramatique depuis près d’un demi-siècle. Il obère sur le long terme le rétablissement d'une relation ferroviaire entre deux de ses trois villes principales que sont Moulins et Montluçon (avec Vichy), toutes en grande souffrance. Or la solution ferroviaire est intégratrice, participe fortement à l’attractivité des villes qu’elle dessert, favorise leur reconversion économique et leur mise en réseau. Seule nuance à apporter : le retrait du réseau ferré national implique, en cas de volonté de réouverture, moins de contraintes réglementaires et ce quel que soit futur gestionnaire d'infrastructure qui en serait chargé.

Carte de situation de la section Commentry-Moulins, partie la plus longue de la première ligne ayant atteint Montluçon, en 1859. La figuration en pointillés indique que la ligne est neutralisée, c'est à dire non exploitée. Depuis fin avril 2019 (cette carte fut mise en ligne par SNCF Réseau début avril 2019) Commentry-Moulins est formellement fermée.

 A 19.667 habitants, la ville de Moulins, préfecture de l’Allier, a perdu 24,56% de sa population en quatre décennies, soit entre 1975 et 2017, revenant à ses niveaux de 1870. A 35.653 habitants, la ville de Montluçon, sous-préfecture et centre industriel historique, a perdu 38,9% de sa population sur la même période, revenant à ses niveaux de 1920.

 Le département de l’Allier connaît lui aussi globalement une déflation démographique. Il a perdu 10,3% de sa population entre 1975 et 2016, à 339.384 habitants, et presque 20% depuis le début du XXe siècle. Notons que même Vichy, seconde commune par sa population après Montluçon, a connu une régression démographique depuis 1975, avec une chute de 24,75%, à 24.166 habitants.

SNCF Réseau ferme tandis de la nationale express parallèle est tranformée en autoroute à péage pour un demi-milliard d’euros

 Simultanément à la fermeture de la ligne ferroviaire qui relie ces deux villes, la route nationale express  « Centre-Europe Atlantique » construite au début des années 1970 pour sa section traversant l’Allier, sur l’axe Moulins-Montluçon, est en cours de transformation en autoroute à péage à vocation internationale pour plus d’un demi-milliard d’euros (notre article du 3 avril 2020, lien en bas de page). La mise en service de cette nationale « accélérée » et l’une des plus meurtrières de France fut quasiment simultanée à la suppression du service voyageurs entre les deux villes, survenue en 1972.

 C’est donc sur fond de déflation démographique, de souffrance économique et sociale majeure que l’Etat français, via son bras armé ferroviaire SNCF Réseau, a décidé la fermeture de la section de ligne Commentry-Moulins, jusqu’ici classée dans la nomenclature des lignes « non exploitées ». Certes cela ne change pas grand-chose pour les habitants concernés en matière de transport public : l’offre routière équivaut peu ou prou à l’offre ferroviaire de… 1956 en matière de temps de parcours (1h40mn pour 80,65km par rail) et de fréquence (4 par jour) mais sans desserte de Commentry en service de base (notre article du 11 octobre 2019, lien en bas de page).

 La section Commentry-Moulins devrait donc logiquement disparaître de la carte officielle du réseau ferré national, où elle figurait jusqu’à présent en pointillés. Les rails ont déjà été déposés au franchissement de plusieurs passages à niveau et au franchissement du contournement de Commentry. Pour autant, la maintenance de sécurité vis-à-vis des tiers (ponts, remblais, réseaux d'eau...) reste à la charge de SNCF Réseau.

Commentry-Moulins, section de la première ligne desservant Montluçon ouverte en 1859, permettrait une relation Montluçon-Paris rapide et complémentaire

 La section Commentry-Moulins, longue de 66,7km, fait partie de la ligne historique Montluçon-Moulins mise en service le 7 novembre 1859. Ce fut la première ligne de chemin de fer à desservir le bassin industriel de Montluçon et Commentry, établissant un lien avec Paris via Nevers et Moulins par la ligne mise en service en 1853 de Nevers à Moulins puis en 1861 de Paris à Nevers. A Commentry, la liaison ferroviaire avec Gannat (et Clermont-Ferrand) ne fut mise en service qu’en 1871.

Bel alignement sur la commune de Neuvy, à proximité de Moulins. Cette section était encore parcourue par des circulations fret lorsque la photographie a été prise. (https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Ligne_voie_ferr%C3%A9e_Moulins_Montlu%C3%A7on_ici_%C3%A0_Neuvy..jpg)

 Après la suppression du service ferroviaire voyageurs entre Moulins et Montluçon en 1972, subsista un reliquat de trafic fret qui disparut progressivement. Le service fret de bout en bout fut supprimé en 2005. La dernière section exploitée pour les marchandises, entre Souvigny et Moulins (14km), vit passer ses derniers trains de granulats en 2014. La circulation fut suspendue sous prétexte de permettre des travaux de rénovation de la voie. Ces derniers ne furent jamais conclus. La ligne présente pourtant un profil favorable avec des déclivités de 15‰ au plus, et une vitesse maximale admise au cours de ses dernières années d’exploitation voyageurs de 105km/h. Pour parcourir les 80,64km séparant Montluçon et Moulins, on pourrait donc tracer des relations express sur une voie moderne restaurée en environ une heure, soit le meilleur temps actuel par voiture individuelle.

 Ce temps de parcours optimal permettrait une correspondance à Moulins avec le flux Clermont-Ferrand-Paris offrant une relation Montluçon-Paris en 3h40mn, soit 1h00 pour Montluçon-Moulins, 15mn de battement pour la correspondance, 2h25mn de Moulins à Paris. Or les trois relations quotidiennes Montluçon-Paris via Vierzon ou Bourges, avec correspondance, affichent des temps de parcours de 3h53mn, 3h55mn et 4h05mn. La fermeture de Commentry-Moulins prive non seulement Montluçon d'une relation avec Paris au moins aussi attractive que celle par la vallée du Cher, mais de fréquences complémentaires. Sans compter l'effet réseau au-delà de Moulins vers la Bourgogne, le nord du Lyonnais, l'Est de la France via Paray-le-Monial, la Nièvre via Nevers.

L’Allier, parfait contre-exemple de la prétention constitutionnelle à un Etat « social » et à un territoire « indivisible »

 En décrétant la fermeture de Commentry-Moulins, SNCF Réseau scelle le démaillage du réseau ferroviaire régional en Bourbonnais et éloigne un peu plus l'espoir d'une remise en service. La logique de l’Etat français demeure inchangée depuis les décrets de coordination de 1934 : le service public se retire des territoires qui ont eu le malheur de décliner, entraînant une accélération de ce déclin et posant un obstacle supplémentaire à de nouvelles activités par exclusion du système ferroviaire et de ses qualités intégratrices.

 Ainsi s’illustre toute la brutalité du darwinisme d’un Etat qui se prétend pourtant « social » dès le premier article de sa constitution en vigueur. Cette même constitution prétend aussi qu'il est « indivisible », ce qui signifie entre autre qu’aucun territoire ne peut être exclu du périmètre de sa sollicitude souveraine. L’Allier en est pourtant le plus parfait contre-exemple.

Digoin-Moulins-Commentry : 506 millions d'euros pour transformer la N79 en autoroute... parallèlement à une ligne fermée en 1972 - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

Dans l'Allier, au cœur du Bourbonnais, la comparaison entre le montant de l'investissement dans l'autoroute A79 et celui des investissements dans la simple maintenance du réseau ferroviaire résiduel est édifiante. La transformation de la nationale 79 en autoroute A79 sur 88 kilomètres, qui va débuter au second semestre, répond à un devis initial de 506 millions d'euros.

http://raildusud.canalblog.com

Bassin de Montluçon : crises économiques, démembrement ferroviaire, relégation territoriale (étude - 2/3) - Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est

La première partie de note étude s'est attachée à présenter le bassin de Montluçon (Allier, est de la Creuse, nord-ouest du Puy-de-Dôme) dans ses composantes démographiques et économiques, puis à recenser les lignes ferroviaires qui l'ont desservi par le passé et à préciser leur durée de vie.

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Comments

[Rq]

Dans la perspective de la lgv pocl, relier moulins (1h10 de paris, 50 min de lyon) à montlucon en 1h serait très utile.

Et il a meme été imaginé que ce soit l’itinéraire de futur tgv