Dans l’Allier, au cœur du Bourbonnais, la comparaison entre le montant de l’investissement dans l’autoroute A79 et celui des investissements dans la simple maintenance du réseau ferroviaire résiduel est édifiante. La transformation de la nationale 79 en autoroute A79 sur 88 kilomètres, qui va débuter au second semestre, répond à un devis initial de 506 millions d’euros.

 A titre de comparaison, les chantiers de rénovation de voies ferrées dans ce périmètre de la région Auvergne-Rhône-Alpes et sur cet axe est-ouest se limitent, pour l’année 2020, à la modernisation de la voie unique entre Commentry et Gannat sur 54 kilomètres pour un devis de 6,2 millions d’euros.  Quant à la voie presque exactement parallèle à la future autoroute (et déjà voie rapide), qui reliait Montluçon et Commentry à Moulins, elle est fermée aux voyageurs  depuis 1972. Elle se séparait à Commentry de l’axe Montluçon-Gannat et atteignait Moulins après un parcours de 67,61 km. Son profil affiche des pentes maximales favorables de 15‰ et sa vitesse maximale en exploitation était de 105km/h. Elle était à double voie de Commentry à Doyet-la-Presle jusqu'en 1950. Sa fermeture s’est effectuée au mépris de toute cohérence territoriale et de toute logique de réseau.

Un passage de deux à quatre voies de la N79, la « route de la mort », entre le bassin de Montluçon, Moulins et Digoin

 La section de l’autoroute A79 en construction consistera en un  passage de 2 à 4 voies de la N79 dite RCEA (Route Centre Europe Atlantique) sur sa section centrale et à sa mise aux normes autoroutières. La section ainsi doublée reliera Digoin à Montmarault/Sazeret, dans le bassin de Montluçon, via Moulins. Montmarault est situé à 31km à l’est de Montluçon par la route (à 39km via l’autoroute A71). Vers l’ouest, la RCEA se poursuit (vers Limoges…) par la N145 à quatre voies. L’A79 sera par ailleurs embranchée à Montmarault sur l’A71 Orléans-Clermont-Ferrand. A l’est, à Digoin, elle se poursuit en route à quatre voies avant de s’embrancher sur l’A40 vers Genève et le Tunnel du Mont-Blanc. Au centre, à Moulins, elle est reliée à la N7.

Plan-Aires_Plan-de-travail-1_Plan-de-travail-1-uai-1440x701Schéma de la future autoroute A79, publié par ALIAE. Il s'agit de la mise à quatre voies aux normes autoroutières de la nationale 79, section centrale de la RCEA (Route Centre Europe Atlantique) construite dans les années 1970.

 La section centrale de la RCEA de 88 km qui s’apprête à être doublée et mise aux normes autoroutières est surnommée « la route de la mort » en raison d’un taux de tués au moins deux fois supérieur à celui des routes à deux voies de ce type. Avec 10.000 à 15.000 véhicules par jour, elle supporte un trafic de poids-lourds bien supérieur à celui prévu à sa construction au début des années 1970, s’inscrivant dans un axe Europe rhénane-façade atlantique et sur un parcours intrarégional intensément fréquenté, sans alternative ferroviaire pour les voyageurs ou le fret. La SNCF a largement abandonné les trafics diffus (wagon isolé, matériels à haute valeur ajoutée…) et ce type de dessertes fret transversales.

Une autoroute à péage dotée de 150 ouvrages d’arts dont un nouveau viaduc sur la Loire à Moulins, concédée au groupe Eiffage

 La future A79 sera une autoroute à péage concédée pour 48 ans à une société ad hoc, « Autoroute de Liaison Atlantique Europe » ou ALIAE. Douze échangeurs et 150 ouvrages d’art sont prévus pour élargissement ou construction sur les 21 communes traversées. L’exploitation en sera confiée à APRR, filiale d’Eiffage, groupe dont les entreprises de génie civil effectuent les travaux. Parmi les ouvrages marquants, un nouveau viaduc sur l’Allier est prévu au droit de Moulins. Le projet est mené avec un souci de « verdissement » manifeste : plantations, murs acoustiques, protection de la faune et de la flore, hydraulique, etc. Il manquerait à peine l’adjonction sur le bas-côté d’une voie ferrée pour transférer sur des trains les conteneurs actuellement chargés sur des camions…

 Cet investissement de plus d’un demi-milliard d’euros, qui vient en complément de l’investissement initial pour la N79 au cours des années 1970, contraste avec l’état déplorable du réseau ferroviaire dans cette zone du nord du Massif Central qui pourtant constitue une voie de transit naturelle pour les flux est-ouest.

 Si depuis Digoin la voie ferrée (Dijon) Chagny-Paray-le-Monial-Moulins est maintenue, elle fut jadis mise à voie unique entre Gilly-sur-Loire et Moulins. A Paray-le-Monial, la section depuis Lozanne et Lyon vient d’être modernisée. En revanche la section depuis Mâcon par Cluny et Charolles fut fermée aux voyageurs dès 1939 depuis Cluny (en 1968 en-deçà) et un tronçon de 25 kilomètres de ce bout de transversale fut même récupéré pour construire… la nationale 79. Quant au projet de VFCEA (voie ferrée centre Europe-Atlantique), qui avance lentement, l'itinéraire de cet axe à moderniser se situe plus au nord, soit Chagny-Nevers-Bourges-Tours.

Cette année, 6,2 millions d’euros pour rénover la voie entre Gannat et Commentry

 Tandis que les engins de chantier se mettront en route afin de doubler 88km de ladite nationale 79 de Digoin à Montmarault pour 506 millions d’euros, des équipes de modernisation de voies  se mettront en branle en juin pour effectuer une rénovation de la voie ferrée entre Gannat et Commentry. Le budget alloué pour cette opération dans le cadre du Contrat de plan Etat-Région s’élève à 6,2 millions d’euros, après 760.000 euros de travaux d’urgence en 2017 sur cet axe sous-équipé limité à 95km/h.  En 2013, d’importants travaux  de rénovation des deux grands viaducs de Rouzat (viaduc Eiffel, sur la Sioule)  et de Bellon, ainsi que d’ouvrages en terre avaient été menés pour 43 millions d’euros dans le cadre du plan-rail Auvergne. Total : 50 millions d'euros, soit 10% du budget de l'élargissement de 88km de la RCEA.

Viaduc_du_Bellon_-_Les_Travaux_Publics_de_la_FranceImage d'archives du viaduc du Belon, 48,55m de hauteur maximale, 231m de longueur totale, rénové en 2013 en même temps que le viaduc Eiffel de Rouzat, sur la section Gannat-Commentry.

 Reste que cette ligne Montluçon-Commentry-Gannat, qui ne supporte plus qu’un trafic TER avec Clermont-Ferrand depuis la suppression des liaisons Lyon-Bordeaux fin 2012, est éloignée de l’axe de la future A79. Pour les liaisons transversales à longue distance, elle répond potentiellement aux besoins Lyon-Bordeaux mais en rien aux besoins Est-Bordeaux depuis Dijon. Pour ces derniers, la liaison la plus courte nécessiterait la réouverture de Moulins-Commentry afin d’éviter le détour par Vierzon-Limoges, voire Tours, tout en desservant des territoires notoirement délaissés. Nonobstant, pour le fret, les limitations de tonnages de l’itinéraire le plus court via Montluçon et son absence d’électrification, les différences de kilométrages inclinent à la réflexion (entre parenthèses, la différence avec le tracé via Montluçon) :

-          Dijon-Chagny-Paray-le-Monial-Moulins-Commentry-Montluçon-Saint-Sulpice-Laurière-Limoges-Périgueux-Bordeaux : 658,50 km

-          Dijon-Chagny-Nevers-Vierzon-Limoges-Périgueux-Bordeaux : 735,00 km (+76,5km, +11,6%)

-          Dijon-Chagny-Nevers-Tours-Poitiers-Bordeaux : 769,50 km (+111km, +16,9%).

 On objectera qu’en matière de fret, une différence de kilométrage de 11,6% voire 16,9% est négligeable, surtout si la continuité électrique, l’absence de rebroussements et la qualité du tracé offrent de meilleures performances d’exploitation.  Le tracé via Montluçon impose en effet des rebroussements à Moulins, Saint-Sulpice-Laurière et Périgueux.

Dijon-Moulins-Montluçon-Bordeaux, une multitude d’origines-destinations et l’irrigation potentielle de territoires abandonnés

 Pour autant cet itinéraire court et transversal offre une multitude d’origines-destinations non desservies par les deux autres, rabattus sur les deux grandes radiales Paris-Montauban et Paris-Bordeaux.  L’argument est au moins aussi pertinent pour une offre voyageurs.

Extrait de la carte officielle du réseau ferré national centrée sur l'Allier. De Digoin à Montluçon via Moulins et Commentry, existe une route express bientôt transformée en autoroute par le groupe Eiffage. Mais sur le même axe à vocation régionale et inter-régionale, le réseau ferré est interrompu par la fermeture depuis 1972 aux voyageurs de la section Moulins-Commentry. Les autocars de substitution qui relient Moulins à Montluçon affichent le même temps de parcours que les trains omnibus des années 1950.

A courte et moyenne distance, la ligne Commentry-Moulins est une évidence tant pour le fret (produits agricoles, PMI, conteneurs, citernes, vrac…) que pour les voyageurs. Pour ces derniers, les performances des actuels services routiers de substitution entre Moulins et Montluçon ne sont pas meilleures que celle des trains omnibus… des années 1950, soit 1h40mn entre les deux grandes agglomérations de l’Allier. De plus, l’usage de la future A79 sera coûteuse pour les automobilistes.

 Seraient bienvenus des trains automoteurs Moulins-Montluçon tracés, côté est, à l’aplomb des TER Lyon/Dijon-Paray-le-Monial-Moulins et des circulations Paris-Clermont-Ferrand et, côté ouest, en correspondance avec les TER vers Guéret, Limoges et le (voire les) TER vers Bordeaux. Ces derniers, TER longues distances, pourraient être amorcés à Moulins en circulation accélérée, voire à Dijon, offrant ainsi une remarquable transversale Dijon-Bordeaux.

 Mais on touche ici à la limite de la régionalisation, mettant une nouvelle fois en exergue la profonde déficience de l’autorité organisatrice étatique en matière de relations inter-régionales hors étoile parisienne, ces « Trains d’aménagement du territoire » qui ont fondu comme neige au soleil.