Saint-Auban - Digne : 22 km de voie unique sacrifiés, une préfecture isolée depuis 31 ans du réseau ferré national (étude)
Les 22 km de voie unique neutralisée reliant Château-Arnoux-Saint-Auban à Digne constituent un témoignage flagrant de l’abandon des territoires par le réseau ferré national et son propriétaire, l’Etat. Cette courte ligne, mise en service en 1876, file en surplomb de la nationale 85, ou « route Napoléon », sur la rive droite de la Bléone affluent de la Durance et comptait quatre gares intermédiaires en allant vers Digne : Malijai, Mallemoisson, Aiglun et Champtercier. Son profil est favorable, avec des déclivités ne dépassant pas 16‰ et une seule courbe prononcée, à la sortie de la gare de Saint-Auban pour franchir la Durance et l’usine Arkéma, productrice de solvants chlorés.
Gare de Digne SNCF, 1982. Un RGP Alpazur en provenance de Grenoble donne et relève la correspondance avec l'autorail CP de la ligne Digne-Nice (151 km). La voie métrique des CP a été posée pour permettre une correspondance quai à quai alors que la situation originelle assurait le départ et l'arrivée des trains CP dans une gare propre, dont on aperçoit le bâtiment tout à fait à droite de la photo, avec voie unique à quai. (Doc. Wikipedia)
Saint-Auban-Digne a été fermée à tout trafic le 23 septembre 1989, la dernière circulation l’ayant empruntée étant un autorail « Alpazur » Grenoble-Digne et retour, donnant et relevant correspondance avec la ligne à voie métrique toujours en exploitation Digne-Nice. N’ayant pas été déclassée, la ligne Saint-Auban-Digne peut à nouveau recevoir du trafic voyageurs malgré son passage à proximité d'une usine classée « Seveso ». La SNCF avait transféré sur route les autorails navettes Saint-Auban-Digne dès 1972.
Une antenne de l’axe régional structurant Marseille-Veynes
La ligne Saint-Auban-Digne constitue une antenne de l’axe régional structurant Marseille-Veynes-Briançon. Sa fermeture illustre le mépris dans lequel est tenu, par l’administration centrale, le maillage ferroviaire territorial. Car la fermeture de cette ligne de moins de 22km isole Digne du réseau ferroviaire national alors que la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence demeure reliée par la ligne à voie métrique des Chemins de fer de Provence à Nice, située à 150km, avec quatre allers-retours quotidiens par autorails en 3h20mn environ. Notons que cette ligne, bien qu’exploitée depuis 2014 par la Régie régionale des transports de Provence-Alpes-Côte-d’Azur (PACA), est propriété de l’Etat français.
Le confluent de la Bléone et de la Durance, proche du village de Saint-Auban où est située la gare, est encadré au nord par Château-Arnoux (même commune), à 4,8km de la gare, et Volonne à 7km, et au sud par Peyruis et Les Mées, chacune sur une rive, à environ 5km. Cette situation disperse la desserte routière substitutive au train au départ de Digne.
Partie de la carte du réseau ferroviaire français centrée sur Digne-les-Bains : un hiatus de 22 km avec le reste des lignes nationales, mais à l'est une ligne à voie métrique de 150 km vers Nice toujours exploitée... en régie directe par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. A l'ouest de Digne, des lignes de bus lentes, peu fréquentes, complexes, sur une route encombrée.
Actuellement, la relation Digne-Val de Durance est assurée par autocars des LER PACA, « Lignes express régionales » qui en l’occurrence n’ont d’express que le nom. Ils empruntent la très fréquentée N85 ou route-Napoléon, seul axe reliant Digne à la Durance via des zones commerciales périphériques.
De Digne à Château-Arnoux, 23 km, en 50 mn par autocar, à Sisteron, 39 km, en 1h10mn
De fait, la ligne 37 Digne-Sisteron effectue le parcours Digne-Château-Arnoux (23km) en 50mn et Digne-Sisteron (39km) en 1h10mn, sans desservir la gare SNCF de Saint-Auban desservie par les TER Marseille-Briançon, cinq fois par jour dans chaque sens plus deux rotations en période scolaire (l’une d’elle ne desservant pas Château-Arnoux). La ligne S1 du petit réseau de bus de l’intercommunalité Provence-Alpes Agglomération dont le siège est à Digne propose en service régulier de semaine scolaire deux Château-Arnoux-Digne quotidiens, 1AR Volonne-Digne et 1AR Peyruis-Digne, complétés par des services au départ de Digne les mercredis uniquement. Il s’agit bien entendu de circulations destinées quasi-uniquement, de fait, à la clientèle scolaire. Un AR Digne-Champtercier complète ce tableau particulièrement squelettique. Notons que la liaison par route de Digne à la gare de Saint-Auban via la mairie affiche 27km contre 22km par fer. Dès le transfert des trains Saint-Auban-Digne sur route, la distance et le temps de parcours se sont allongés.
Le « bouquet » de lignes 33/37A des LER PACA propose en semaine un seul aller-retour quotidien direct Gap-Digne (116km par rail via Veynes, 88km par route), complété par 6AR avec correspondances à Sisteron, une offre dont le temps de parcours s’étage entre 1h50mn et 2h30mn. Elle propose parallèlement 2AR directs Veynes-gare SNCF-Digne (67km) avec temps de parcours de 1h50mn ou 2h00mn, plus 1AR train TER-bus avec correspondance à Sisteron en 1h15mn. Le tout est complété par quelques liaisons de fin de semaine.
Un ensemble de huit communes de vallées rassemblant 35.147 habitants (2017)
Pourtant, la zone basse Bléone-proche Durance regroupe, au cœur de la vaste agglomération Provence-Alpes, une population totale de quelque 35.147 habitants (2017) sur seulement huit communes : Digne (16.460 habitants), Champtercier (844), Aiglun (1.440), Mallemoisson (1.046), Malijai (1.975), Château-Arnoux-Saint-Auban (5.139), Peyruis (2.858), Les Mées (3.735).
Un plus grand triangle est formé au-delà : Manosque (22.300 habitants), au sud de Peyruis, est distante de 57km de Digne ; Sisteron (7.500 habitants), au nord de Château-Arnoux, de 39km de Digne. Sisteron comme Manosque font partie d’autres intercommunalités. La région, bien que faiblement peuplée, n’en voit pas moins sa population concentrée sur deux axes (vallées de la Bléone et de la Durance, perpendiculaires) situation par définition favorable au chemin de fer.
Autour de la place de la gare de Digne, deux bâtiments terminus se font face : le bâtiment PLM passé SNCF (g.), au vaste faisceau de voies abandonnées à l'exception de la voie métrique des CP pour Nice ; le beau bâtiment CP ex-Sud-France et sa voie métrique unique à quai en surplomb de la route Napoléon (avenue de Verdun) grâce à d'impressionnantes arcades de soutènement, abandonnés depuis des décennies, bien avant la liquidation de Saint-Auban-Digne par la SNCF. (Doc. Wikipedia)
Digne est distante, par voie ferrée : vers le sud, de 161km de Marseille et de 175km d’Avignon-Centre via la ligne (fermée aux voyageurs) Cheval-Blanc-Pertuis ; vers le nord, de 67 km de Veynes, de 199km de Grenoble, de 116km de Gap, de 224km de Valence-Ville et de 234,5km de Valence-TGV.
Une superposition de triangles de populations : péri-urbain, sub-régional, régional
La ligne Saint-Auban-Digne s’inscrit donc dans une superposition de triangles de populations : au plan péri-urbain : Bléone-Durance ; sub-régional : Digne-Sisteron-Manosque ; régional : Digne-Gap-Grenoble-Valence-Marseille-Avignon, avec les extensions au niveau national au-delà des quatre dernières de ces gares. Extensions depuis Grenoble vers le sillon alpin, la Savoie, Genève, Lyon, l’Ile-de-France ; depuis Valence vers Lyon, le Massif Central, l’Est et l’Ile-de-France ; depuis Marseille vers l’ouest-Provence, le Languedoc, l’Espagne, le Sud-Ouest ; depuis Avignon vers la vallée du Rhône méridionale, le Languedoc… Bref, un simple hiatus de 22km isole Digne d’un réseau ferroviaire inter-régional qui ne demande pourtant qu’à voir son usage s'intensifier.
Seule la liaison avec Nice est assurée, depuis une gare « SNCF » utilisée par les autorails des CP grâce à une voie métrique à quai tandis que les voies standard sont envahies par les herbes. Le bâtiment voyageurs CP d’origine et sa voie à quai, qui fait face au bâtiment SNCF ex-PLM sur la place de la gare, n’est plus utilisé. Il est nécessaire de relever que ces deux gares sont relativement éloignées du centre de Digne, soit 1.200m jusqu’à l’amorce du boulevard Gassendi, axe central. Mais elles sont desservies par la ligne 3 du réseau urbain des TUD. A quelques centaines de mètres, la ligne 1 passe au rond-point du 4-Septembre, ralliant elle aussi le centre-ville. La 3 comme la 1 poursuivent vers l’ouest dans la périphérie active de la vallée de la Bléone.
Il y eut six allers-retours par jour, certains origine Grenoble, Avignon voire Genève
L’antenne Saint-Auban-Digne connut au demeurant une belle carrière jusqu’à sa mort programmée. A l’horaire 1956, ses 22km étaient parcourus par 6 allers-retours quotidien sur une belle amplitude horaire de 6h00 à 20h00 au départ de Digne, de 9h39 à 21h38 au départ de Saint-Auban. Sur ces 6AR, un était origine-destination Grenoble, un était origine-destination Avignon via Pertuis et, en haute saison d’été, un était origine-destination Genève via Grenoble (une course Genève-Digne de 364km et Genève-Nice via Digne de 514km) qui ressuscitera sous le nom d’Alpazur dans les années 1970 et dont la disparition signera la fermeture de la ligne. Trois AR quotidiens étaient tracés à l’aplomb des circulations CP de et vers Nice à Digne (le Genève-Digne en correspondance soignée) ; trois à l’aplomb de circulations de et vers Marseille, soit à Saint-Auban soit à Pertuis (4 en haute saison d’été) ; enfin, en correspondance à Saint-Auban ou par train direct, quatre relations étaient garanties de et vers Grenoble.
Le parcours ferroviaire Digne-Avignon était effectué en 1956 en 3h21mn sans changement pour 175km, avec desserte omnibus de Digne à Saint-Auban. Ce temps de parcours assuré voici 64 ans est à rapprocher du temps de parcours actuel des cars de la ligne 22 des LER qui relient Digne à Avignon (dont la gare TGV) en 3h20mn au minimum et jusqu'à 3h50mn avec correspondance intermédiaire. Leurs fréquences sont homéopathiques : 1AR direct par jour en 3h30mn en semaine, la circulation directe du dimanche étant moins longue d'une dizaine de minutes. La fiche horaire souligne bien que ces horaires routiers sont calculés dans les conditions normales de circulation...
Extrait du tableau 546 du chapitre Méditerranée de l'indicateur Chaix de l'été 1956. Six allers-retours par jour entre Saint-Auban et Digne, certains amorcés à plus d'une centaine de kilomètres, voire en Suisse. (Archives documentaires de la SNCF)
Entre Saint-Auban et Digne, les 6AR (sauf le Genève d’été qui ne desservait que Mallemoisson) desservaient en 1956 les quatre gares intermédiaires avec un temps de parcours de 29mn (26mn pour le Genève), à rapprocher des 50mn de l’autocar Digne-Château-Arnoux. En cas de rétablissement de la circulation ferroviaire, le complément de liaison entre la gare de Saint-Auban et le centre de Château-Arnoux (4,8km) demanderait une correspondance bus, soit une dizaine de minutes supplémentaires. On pourrait tabler sur une légère réduction du temps de parcours entre Digne et Saint-Auban par rapport aux autorails de 1956, grâce aux automoteurs actuels.
Au-delà, la réactivation de cette antenne permettrait de relier par des relations ferroviaires directes Digne à Cavaillon, Avignon-Centre et Avignon-TGV grâce à la réouverture aux voyageurs de la section fret Pertuis-Cheval-Blanc (40,5km) ; Digne à Sisteron, Veynes, Gap ou Grenoble - voire Valence - avec correspondances afférentes.
Les demandes du collectif des associations favorables à la réouverture
Au début des années 2000, une étude fut lancée par la région Provence-Alpes-Côte d'Azur pour évaluer une réouverture de Saint-Auban-Digne. L’hypothèse d’une mise à voie métrique pour prolonger la ligne Nice-Digne des CP jusqu’à Saint-Auban fut écartée : elle exclurait des liaisons directes au-delà de Saint-Auban. Une rénovation à trois files de rails et une cohabitation CP-TER serait coûteuse et d’un bénéfice marginal. La rénovation de la ligne à voie normale était la solution envisagée. Depuis, plus rien, si ce n'est une pression constante des élus locaux et régionaux pour empêcher RFF puis SNCF Réseau d'obtenir le déclassement de l'infrastructure, qui obèrerait gravement toute perspective de remise en service.
Depuis quelques années, un collectif « Mobilité Alpes du Sud » a réuni plusieurs associations pour relancer le projet autour d’une ambition plus large. Il propose ainsi de « réorganiser l’offre de transport autour de deux services cadencés en site propre : Digne-Manosque et Digne Sisteron ». Ces services seraient ferroviaires en utilisant la voie ferrée Digne-Saint-Auban, « pour des navettes entre ces trois villes en moins de 30 minutes et donc indépendamment de tout embouteillage ». Les services routiers de transport public, actuellement squelettiques, seraient rabattus sur cet axe.
« Mobilité Alpes du Sud », qui a précédé les actuelles associations Mobilités Alpines et NosterPaca, rappelle que l’étude la plus récente de SNCF Réseau pour une réouverture au service voyageurs fixait un devis de 30 millions d’euros, comprenant remise à neuf de la voie et révision des ouvrages d’art. Ce coût, indique le collectif, « est inférieur à celui des récents aménagements routiers, et bien inférieur à ce qu’il faudrait investir sur la route pour un service équivalent ».
La traversée du site Seveso exige simplement des blancs horaires liés aux manipulations industrielles
Contrairement à un bruit répandu, ajoute le collectif, l’interdiction de la traversée en l’état du site « Seveso » de Saint-Auban (qui génère un trafic fret notable) ne s’applique pas à une ligne qui n’a jamais été fermée, la simple application de blancs horaires étant nécessaire lors de manipulations des fluides. Rappelons que la directive européenne 2012/18/UE dite « Seveso » vise quelque 1.200 établissements en France, en particulier dans le couloir de la chimie au sud de Lyon parcouru par les lignes classiques Lyon-Marseille.
La Fnaut soutient la réouverture et ce plan de transport. Le collectif appelle en outre la création de trains directs Digne-Avignon TGV, ainsi que des Digne-Grenoble en correspondance avec les CP vers Nice, « ces derniers souffrant depuis trop longtemps d’un terminus à Digne sans liaison avec le réseau national vers Sisteron, Grenoble, Genève, Gap et Briançon ».