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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
31 janvier 2020

Vincent Pouyet, du loueur Alpha Trains France, livre une analyse décapante sur le transport ferroviaire régional français

Le directeur général d’Alpha Trains pour la France, Vincent Pouyet, a livré dans l’hebdomadaire économique La Tribune une appréciation critique de la situation du secteur ferroviaire français dominé par la SNCF, qui mérite d’être rapportée. Elle apporte un précieux éclairage dans le débat sur l’avenir du rail dans le seul pays d’Europe (et peut-être du monde) qui continue de fermer des lignes par une politique malthusienne principalement centrée sur les intérêts de sa seule capitale. Alpha Trains est la première entreprise européenne, par son chiffre d’affaire, de location de matériel roulant et, à ce titre, particulièrement bien placée pour évaluer l’évolution des différents exploitants, leurs forces et leurs faiblesses. A la fin de cet article figurent les liens vers l’entretien complet dans La Tribune et vers le site institutionnel d'Alpha Trains.

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Vincent Pouyet, directeur d'Alpha Trains France. (DR)

 Concernant le matériel assurant les trains régionaux en France, Vincent Pouyet estime qu’ils sont inadaptés : « Les matériels régionaux en France sont, comparativement au marché européen, sophistiqués, chers avec une efficacité très moyenne quand on regarde leur niveau de disponibilité et le nombre de kilomètres parcourus chaque année ». De quoi grever le bilan des lignes régionales voyageurs et expliquer pour partie leur sous-exploitations et, in fine, leur fermeture. Vincent Pouyet explique qu’en tant qu’opérateur unique, la SNCF jouait un rôle majeur dans la conception des matériels. Les constructeurs, Alstom comme Bombardier, « ont répondu à ses exigences en construisant des trains spécifiques ». Or, « sachant que les trains achetés par la SNCF sont subventionnés par les Régions, le prescripteur n'est pas incité à concevoir un train peu onéreux, d'autant que les régions n'ont pas suffisamment la capacité technique pour challenger la SNCF ». Tout cela « coûte au final très cher », conclut-il.

Commandes plus petites, adaptées aux besoins locaux, donc plus d’innovations et de concurrence

Vincent Pouyet, dont l’entreprise travaille beaucoup avec les autorités organisatrices régionales allemandes, ose une comparaison avec le chemin de fer outre-Rhin, beaucoup plus décentralisé et donc plus adapté aux exigences locales : « Le système allemand est différent. Il est beaucoup plus localisé. A la manière des avionneurs, les constructeurs développent leur propre gamme de trains qu'ils adaptent aux besoins des opérateurs de chaque concession. En conséquence, les commandes de trains sont plus petites, il y a plus de concurrence entre les constructeurs, et plus d'innovations incrémentales car à chaque petite commande, plusieurs choses sont améliorées par le retour d'expérience. Au final, en Allemagne, les matériels roulants sont moins sophistiqués, moins chers mais plus performants en termes de fiabilité et de performance opérationnelle ».

AlphaRame automotrice diesel Talent de Bombardier louée par Alpha Trains à l'opérateur allemand NEB (Niederbarnimer Eisenbahn - Oderlandbahn), qui exploite le réseau à l'est et au nord de Berlin. (Alpha Trains)

Et contrairement à ce que l’on pourrait penser en France, où l’on croit que l’effet de masse résout tout, ce « sur-mesure » est loin d’être coûteux, selon le directeur d’Alpha Trains France : « C'est plutôt l'inverse. Quand les constructeurs développent leur propre gamme, ils peuvent vraiment apporter leur propre savoir-faire. Cela les oblige à investir dans des produits et non à faire supporter l'investissement par le client. Et au final, ils protègent mieux leur marge. En France, les constructeurs se retrouvent dans des cycles de développement très longs dans lesquels ils sont confrontés à l'interventionnisme très important de la  SNCF. La plupart du temps, ils perdent de l'argent sur ces phases. D'une part parce qu'il faut environ cinq ans pour homologuer un train et d'autre part parce que la chaîne logistique n'est pas optimisée puisqu'à chaque nouveau train il faut reformer les fournisseurs ».

L’ouverture à la concurrence en France, en 2023, peut être une opportunité, estime Vincent Pouyet. Elle peut entraîner un changement de logique après 82 années de gestion monopolistique d’Etat qui a posé le volume comme seul objectif, entraînant une mutilation du réseau sans équivalent an Europe. Pour lui, « c’est l'excellence opérationnelle qui fait qu'un opérateur gagne ou pas de l'argent » car « faire du volume n'apporte que très peu de gains de productivité ». Il explique : « En Allemagne, les concessions qui affichent les meilleurs résultats en termes de remplissage des trains et de coûts de production sont celles qui sont organisées très localement, avec une couche managériale très légère, un atelier de maintenance, une flotte dédiée, et une bonne connaissance de la ligne et des besoins en termes de fréquentation ». L’autre exemple est bien entendu la Suisse, dont les multiples réseaux régionaux et locaux, quasiment tous publics, affichent une capacité d’adaptation exceptionnelle.

 Résultat, « en Allemagne, l'offre de trains régionaux est beaucoup plus dense et il y a plus de voyageurs dans les trains ». Et le verdict tombe, abrupt : « Avoir trois trains le matin et trois le soir sur une ligne comme on le voit en France n'existe pas en Allemagne. Les autorités organisatrices de transport estiment qu'une ligne de train doit avoir un train par heure. Si vous voulez que les voyageurs considèrent le train comme une vraie alternative, il faut programmer des trains toutes la journée, y compris en heure de creuse et y compris le soir. Sinon, ils choisissent un autre moyen de transport ou limitent leurs déplacements ».

Le train régional français 60% plus cher que le train régional allemand, qui paye bien mieux ses personnels

 A la clé, les coûts de production qui, relativement à la fréquentation, explosent quand l’offre est sous-dimensionnée et donc la clientèle découragée. Entre l’Allemagne et la France, la différence entre les coûts de production est édifiante : « En France, le coût pour faire rouler un "train-kilomètre" s'élève à 25 euros. En Allemagne à 15 euros. Le train régional français est 60% plus cher à produire que le train régional allemand ».

 Vincent Pouyet ne met pas en cause les coûts de personnel, tarte à la crème des responsables de la SNCF – et certainement origine de la conflictualité pathologique du système ferroviaire français : « Le coût du personnel ne représente qu'une partie des coûts de production d'autant qu'en Allemagne les conducteurs de trains sont très bien payés. La différence s'explique essentiellement par l'exploitation du matériel. Si l'on regarde le matériel roulant déjà plus sophistiqué et plus cher en France, les trains que nous louons en Allemagne roulent 200.000 kilomètres par an en moyenne (plutôt 150.000 pour les trains diesel et largement plus de 200.000 pour les trains électriques). En France, un train régional roule entre 80.000 et 120 000 km par an. Soit quasiment deux fois moins ».

DSCN2016Rame Corail réversible sur le sillon alpin sud, à Tullins-Fures (Isère), en direction de Valence-Ville. Les voitures Corail, conçues pour les grandes lignes et très appréciées pour leur confort, ont vu leurs aménagements gravement dégradés par une maintenance défaillante et leur adaptation à des circulations régionales est contestable. ©RDS

 Ce malthusianisme et cette incapacité à entreprendre une véritable politique de l’offre engendrent « un impact massif sur les coûts d'exploitation mais aussi sur la maintenance, car même s'il roule peu un train ne peut s'affranchir de certaines opérations de maintenance ». « Il y a des économies incroyables à réaliser en augmentant l'utilisation des trains », martèle Vincent Pouyet. « Sur la question du personnel, ajoute-t-il, le décalage est moins sur les salaires que sur la partie organisationnelle qui doit s'adapter à l'exploitation : un train régional roule toute la journée, ne roule pas la nuit en semaine, et roule un peu moins le week-end ; il faut donc du personnel dans les ateliers la nuit et le week-end ».

La concurrence peut être faussée, et elle est déjà exclue pour 10 ans en Bretagne et Occitanie

 Concernant enfin l’impact de l’ouverture à la concurrence, c’est à dire à des délégations  temporaires de service public à l’image de ce qui se fait depuis un siècle et demi dans le transport public urbain, Vincent Pouyet met en garde : « Si un opérateur doit utiliser des trains appartenant à la SNCF, entretenus par la SNCF, et embaucher des cheminots et leur sac à dos social, il n'y aura pas de concurrence. Les nouveaux entrants n'auront plus de marges de manœuvre pour améliorer la qualité du service et baisser les prix. Ils seront bloqués dans le système peu performant d'aujourd'hui ».

 Même si on donne « quelques miettes à des concurrents de la SNCF, on n'améliorera pas le service aux usagers, alors qu'en se posant les bonnes questions, on peut faire mieux et moins cher ! », ajoute Vincent Pouyer, qui note qu’Alpha Trains discute avec toutes les régions pour trouver des solutions qui leur permettent d’améliorer leur situation… à l’exception de la Bretagne et de l'Occitanie qui « ont re-signé avec la SNCF pour dix ans ». La région Bretagne a signé en ce mois de janvier pour dix ans avec la SNCF un contrat TER l’engageant pour un milliard d’euros au total.

La fausse bonne solution du coûteux train à hydrogène, prévu pour Montréjeau-Luchon

 Une dernière réflexion de ce spécialiste du matériel roulant ferroviaire, concernant cette fois le train à hydrogène, dont viennent de s’enticher quelques régions en Allemagne et en France - l’Occitanie pour la ligne à rouvrir Montréjeau-Luchon, jadis électrifiée par caténaires. « L'acquisition et l'exploitation d'un train à hydrogène coûte aujourd'hui entre 50 et 100% plus cher que celle d'un train diesel », explique Vincent Pouyet. « Le volontarisme politique se heurte donc à la réalité économique », tranche-t-il, poursuivant : « Par exemple, l'hydrogène n'est pas forcément la panacée pour sauver les petites lignes, du moins à court terme. Au-delà du prix du train, il y aussi l'investissement nécessaire pour mettre en place toute une nouvelle infrastructure et il existe encore de nombreuses interrogations sur la capacité d'une production « propre » de l'hydrogène. Il est donc important de tester la technologie en conditions réelles et la mettre à l'épreuve d'une exploitation, mais envisager un déploiement à grande échelle est encore prématuré ».

Alpha Trains est le premier loueur de matériel ferroviaire en Europe avec 432 trains régionaux qui circulent sur les marchés où la concurrence est ouverte, principalement en Allemagne, et 363 locomotives de fret louées à des opérateurs dans une quinzaine de pays européens, dont la France où une cinquantaine de ces locomotives circulent. La valeur de ses actifs s'élève à 2,5 milliards d'euros et Alpha Trains réalise plus de 200 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel avec des locations côté voyageurs à Transdev, Keolis, Abellio (les chemins de fer hollandais), opérateurs majoritairement publics ou parapublics, et des opérateurs locaux.

 

Ferroviaire : ce qu'il faut faire pour une ouverture à la concurrence réussie, selon Alpha Trains

Dans la perspective de l'ouverture de la concurrence du marché ferroviaire intérieur de passagers, Vincent Pouyet, directeur général France d'Alpha Trains, numéro 1 en Europe de la location de trains fait un diagnostic peu reluisant du transport ferroviaire français et préconise de s'inspirer du modèle allemand.

https://www.latribune.fr



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