Rachel Picard, Madame Oui, quitte Voyages SNCF après avoir joué la carte de l’image «bobo» et contribué à désintégrer l’offre
Ainsi partit Rachel Picard. La directrice générale de Voyages SNCF, branche détenant jusqu’ici les activités TGV et Intercités, « va ouvrir un nouveau chapitre de sa vie professionnelle », indique un communiqué de la SNCF, façon pudique de dire qu’elle ne répond plus aux exigences de la nouvelle stratégie initiée par le président de la SA de tête, Jean-Pierre Farandou. Passée par Eurodisney, entrée à la SNCF en 2004 chez voyages-sncf.com pour gérer les ventes et le marketing, cette diplômée de HEC Paris avait fait un bref séjour de trois années chez Thomas Cook France (2010-2012) avant de revenir à la SNCF en tant que directrice de Gare & Connexions puis, dès 2014, à la tête de Voyages SNCF sous la haute direction et l’inspiration "disruptive" de Guillaume Pépy. Comme ce dernier voici quelques semaines, elle quitte la SNCF après avoir joué la carte du tout-image et contribué à désintégrer la lisibilité de l’offre.
L’image et le « concept produit » systématisés sans le moindre souci de cohérence-réseau
Rachel Picard aura porté à son incandescence la tyrannie « bobo » de l’individualisation, de l’image, du clinquant, du « concept produit » sans le moindre souci de cohérence-réseau, avec la démultiplication des « marques » sous le mot-clé (« hastag ? ») « Oui ». Au point qu’elle fut surnommée en interne « Madame oui ». Arrivée en promettant de simplifier les tarifs illisibles du TGV, elle en aura finalement complexifié l’usage.
On trouve ainsi, sous ce préfixe ou suffixe Oui relevant de la pensée magique : OuiGo (TGV à bas coût, toujours déficitaire au bout de sept années, copié-collé de l’aérien low cost, évoquant l’anglicisme facile « we go ») ; OuiBus (cédé à Blablacar après avoir englouti 140 millions d’euros qui eussent permis de sauver une poignée de lignes de « desserte fine ») ; InOui, TGV classiques affublés d’une nouvelle livrée très salissante (toujours l’obsession de l’image et de l’apparence de nouveauté) pour plusieurs dizaines de millions d’euros, et parsemés de consternants autocollants sur les vitres pour inviter le voyageur à regarder le paysage. Et bien sûr le site Oui.SNCF, sans parler des TGV internationaux filialisés sous une forme, une couleur, une marque, une tarification spécifiques.
TGV Réseau transformé en "InOui" et TGV Duplex, plus récent mais demeuré "TGV", sur le même train à Marseille-Saint-Charles. Une obsession de l'image... mais pas de la propreté extérieure. ©RDS
Entre infantilisme, festivisme et branchitude parisianiste, cette politique de l’image et des mots se sera accompagnée de la déstructuration des services TGV en « produits » marketing ciblés et incohérents entre eux (impossible de passer d’un InOui à un OuiGo si on est en retard), multipliant les services support au siège et les références dans les ateliers de maintenance, mobilisant des sommes considérables pour leur conception. Certes les OuiGo, que Rachel Picard a récupérés un an après leur lancement avant de les développer frénétiquement, auront permis de tester l’optimisation des rotations de matériels et de la productivité. Mais fallait-il en passer par là ?
La politique du tape-à-l’œil, cache-sexe de la première régression de l’offre TGV
Plus encore, cette politique du tape-à-l’œil menée depuis 2014 aura servi de cache-sexe à la première régression de l’offre TGV sur les lignes à grande vitesse historiques, frappant en particulier les relations avec parcours sur ligne classique et les relations inter-régionales. On relèvera en particulier, dans le grand Sud-Est, la disparition de l’offre hebdomadaire Alpes-Marseille via le raccordement de Valence-TGV et la troisième voie à quai TGV, qui tous deux coûtèrent quelque 40 millions d’euros est qui désormais ne servent plus à rien (notre article du 25 octobre 2019, rubrique Inter-régional). Ou encore la réduction de l’offre Est-Méditerranée. Or qu'importe au client-usager : la couleur des caisses, le trait d'humour branché d'une nouvelle appellation ; ou bien la souplesse d'accès, la fiabilité des horaires et surtout la fréquence, élément capital de la vitesse globale du déplacement ?
Grenoble. TGV Lyria franco-suisse assurant en juin 2019... une mission parfaitement intérieure Grenoble-Paris, via Chambéry en raison de travaux sur la ligne via Saint-André-le-Gaz. La démultiplication des marques et des livrées s'oppose à la cohérence de l'image et à la rationalisation de l'exploitation. ©RDS
Le communiqué de Jean-Pierre Farandou explique, à propos de Rachel Picard, qu'« à présent nous avons à construire la nouvelle SNCF et en particulier SNCF Voyageurs, qui va s'appuyer sur ses réalisations (de Rachel Picard) ». Le texte n’en dit pas plus, mais la contradiction dans les intentions - « construire la nouvelle SNCF » et « s’appuyer sur ses réalisations » - laisse présager quelques rectifications de tracé qui seront les bienvenues afin de rendre au rail français les qualités du ferroviaire et de le débarrasser du mimétisme aéronautique.
On peut au moins l’espérer. Rachel Picard, apprenant la volonté de l’allemand Flixtrain de faire circuler des rames tractées à grande capacité sur les lignes historiques parallèles aux lignes à grande vitesse, avait tardivement concédé que la SNCF avait probablement négligé ce « marché ». Pourtant, le maintien de trains classiques avait été vivement souhaitée par la FNAUT après une étude réalisée dès le début des années 2010 afin de réduire l’enclavement de nombreuses villes moyennes qui avaient perdu des dessertes depuis l’ouverture des LGV. Seules quelques circulations ciblées, à la fréquence hebdomadaire squelettique et accessibles exclusivement par internet (merci pour les innombrables déconnectés), ont été tentées récemment par la SNCF.
Car depuis les toutes premières LGV, l’esprit de système de la SNCF aura fait basculer la quasi-totalité de l’offre grandes lignes des lignes classiques vers les lignes à grande vitesse voisines, laissant les régions se débrouiller pour desservir les relations abandonnées. Lyon-Marseille par la vallée du Rhône est exploitée en TER, comme Lyon-Paris via Dijon, relations qui pourtant desservent respectivement deux et trois régions différentes et relèvent donc logiquement de l’autorité nationale.
Passer du concept de point à point copié de l’aérien au concept ferroviaire de réseau
Le défi principal va consister à passer du concept de point à point et de produits ultra-ciblés, copiés de l’aérien dont les modes de fonctionnement et les qualités intrinsèques diffèrent structurellement de ceux du ferroviaire, à une organisation axée sur le principe de réseau. Le client ou usager ne prend pas « un » train mais « le train », appellation générique d’un système qui peut comporter plusieurs trains successivement. Quand il entre en gare, il confie son transport à un réseau en site propre, le chemin de fer, dont la tarification, la technique et les références visuelles doivent être marqués par l’homogénéité, la fluidité et la simplicité.
Rame OuiGo à Marseille Saint-Charles. Billets exclusivement par internet, contrainte sur les bagages et sur le délai préalable à l'embarquement, absence de restauration et de 1ère classe, impossibilité de passer de OuiGo à InOui... Le train conçu comme un produit à usage unique. ©RDS
Voyages SNCF est désormais intégrée à la nouvelle SA SNCF Voyageurs qui a repris toutes les activités de transport ferroviaire de l’entreprise à capitaux publics, hors fret. Ce rapprochement entre l’activité TER et les multiples activités Grandes lignes offre une occasion de remettre de la cohérence dans ce vaste chaos bureaucratique de marques, de livrées, de tarifs, de conditions d’emprunt, de cartes de fidélités, de mode de relation-client et de réductions. Il en va de la crédibilité du ferroviaire français.