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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
16 janvier 2020

Evian-Saint-Gingolph : cette courte ligne « du Tonkin » de 18 km reste fermée mais l'autoroute du Chablais, hors de prix, avance

 Le destin de la section de ligne à voie unique Evian-Saint-Gingolph est emblématique de la liquidation en France des réseaux ferroviaires interrégionaux et, dans le cas qui nous occupe ici, internationaux comme pour l’étoile de Breil menacée d’extinction à l’autre bout des Alpes françaises. Cette ligne de seulement 18km est dite du « Tonkin » car elle évoqua pour les techniciens qui la construisirent au cours des années 1880 les difficultés rencontrées pour la création du chemin de fer du Tonkin au nord d’Hanoï. Elle fut mise en service le 1er juin 1886.

 Partie de la ligne 892.000 au catalogue du RFN Longeray-Léaz-Le Bouveret (à 4km de Saint-Gingolph côté suisse), elle relie la grande ville d’eau du Léman français à la frontière du canton suisse du Valais dans lequel elle se poursuit de Saint-Gingolph jusqu’à Monthey, nœud ferroviaire avec croisement de la ligne Aigle-Champéry, puis Saint-Maurice sur l'axe magistral Lausanne-Martigny-Sion-Sierre-Brigue-Simplon (Italie). Pour l'instant sa réouverture reste lointaine, les élus locaux français préférant l'autoroute du Chablais, l'A40 Machilly-Thonon qui doublonnera avec le Léman Express et que le canton de Genève conteste vivement. Le coût annoncé de cette quatre voies, entre 157 et 300 milions d'euros, montre que pour la route, rien n'est trop cher.

La ligne du Tonkin fermée aux voyageurs dès la création de la SNCF, en 1938

 La SNCF naissante supprima sans attendre le squelettique service voyageurs entre Evian et Saint-Gingolph dès 1938, dans la première grande fournée de fermetures qui atteignirent pour cette seule année quelque 4.236km de lignes dans la France entière. Le service marchandises y disparut en 1988 après que la section eut vu passer, pendant la Seconde Guerre mondiale, un considérable trafic fret transfrontalier. Tandis que la section française agonisait lentement, avant neutralisation en 1996, les chemins de fer fédéraux suisses (CFF) avaient électrifié, eux, la partie helvétique dès 1954. Cette ligne n'intéressant en rien les circulations radiales de et vers Paris, elle devait passer par profits et pertes côté français nonobstant son intérêt local, régional (depuis Lyon en particulier), voire stratégique, évident.

swiss_1024Extrait de la carte officielle des chemins de fer suisses. Le hiatus Saint-Gingolph-Evian apparaît clairement...

... alors qu'étrangement, sur la carte officielle du réseau ferré national français, la section Saint-Gingolph-Monthey du réseau suisse (en gris) n'est pas mentionnée.

Evian-Saint-Gingolph, un intérêt régional, interrégional et international considérable

 Aujourd’hui, la section française Evian-Saint-Gingolph présente plus que jamais un intérêt régional, interrégional et international considérable, tant pour les régions françaises que pour la Suisse valaisanne et les prolongements au-delà vers l’Italie ou les Grisons. La réouverture de ce court maillon, soutenue par plusieurs associations parmi lesquelles « RER Sud-Léman » (lien à la fin de cet article, ajouté par ailleurs dans la colonne de droite), est un enjeu qui dépasse largement la seule rive savoyarde du grand lac, même si l’intérêt local est certain. La puissance du chemin de fer réside précisément dans sa capacité à cumuler les flux à courte, moyenne et longue distances dans un système à rendement croissant.

 Les élus soutiennent la demande d’une réouverture à l’horizon 2022, à l’exception d’un maire-adjoint de Thonon qui s’en est pris à un possible trafic fret (polluant malgré une électrification ?) alors que l’avant-projet ne prévoit qu’un trafic voyageurs. L’édile, qui préfère à l'évidence l'autoroute du Chablais, prône une « voie verte », incontournable tarte à la crème des partisans du tout-automobile. La phase 2 de l'étude d'avant-projet a été votée par l’organisme binational Interreg et le projet est passé en priorité 1 dans PRODES en Suisse, le programme fédéral d’aménagement et de développement des infrastructures ferroviaires. Le devis, électrification incluse, était évalué voici quelques années à 124 millions d’euros. Mais côté français, on attend toujours.

 La section neutralisée Evian-Saint-Gingolph mesure, on l’a vu, seulement 18km. Elle comporte deux tunnels dont un de quelque 800m et trois courts viaducs. Elle est encadrée à l’ouest par la ligne Evian-Annemasse-Longeray-Léaz (Bellegarde-Lyon/Valence), réseau électrifié en 25kV 50Hz puis 1,5kV de Bellegarde à Lyon, et à l’est par la ligne, longue de 27km, Saint-Gingolph-Monthey-Saint-Maurice (Martigny-Sion-Brigue-Simplon), réseau électrifié en 15kV 16 2/3 Hz. A Evian sont amorcés des trains du RER Léman Express vers Annemasse, Genève et Coppet à raison d’une rotation à l’heure et à la demi-heure en pointe. En revanche, plus aucune relation directe ne relie Evian à Lyon ni à Paris, tous les flux étant depuis le service 2020 concentrés sur Genève via le Léman Express (notre article du 30 décembre 2019, rubrique Inter-régional).

Aujourd’hui les 18km Evian-Saint-Gingolph sont couverts par 7 allers-retours de cars en… 30 minutes (mais rien les dimanches)

 Sur route, Evian est relié à Saint-Gingolph en 30mn (pour 18km) sept fois par jour par la ligne d’autocars 131 de la Communauté de communes du Pays d’Evian-Vallée d’Abondance, avec deux trous de 4h15mn et 5heures en milieu de demi-journées. Cette ligne 131 est amorcée à Thonon, ville qu’elle relie à Saint-Gingolph en 50mn pour 27km et à Evian en 19mn pour 9km. Notons qu’aucun service n’est proposé les dimanches et fêtes, personne ne se déplaçant ce jour-là semble-t-il. A titre de comparaison, les 9km séparant Evian de Thonon sont parcourus par Léman Express en 9mn. La ligne Evian-Saint-Gingolph (18km), une fois réouverte, pourrait donc être parcourue par train en environ un quart d’heure soit un temps de parcours deux fois moindre que celui de l’autocar, lequel pourrait demeurer pour la desserte micro-locale.

TonkinManifestation en faveur de la prolongation du parcours des rames suisses sur 18 km en France jusqu'à Evian par la ligne dite du Tonkin, en septembre 2018. Du côté suisse, aujourd'hui, un train par heure jusqu'à 22h00 vers le Valais, en 32mn jusqu'à Saint-Maurice (28 km et 7 stations intermédiaires). Du côté français seulement sept autocars par jour et par sens et aucun le dimanche, en 30mn jusqu'à Evian (18km) et en 50 mn jusqu'à Thonon (27km). (Photo RER Sud Léman)

 Plus largement, ce maillon de 18 km contribuerait à une forte amélioration des relations entre d'une part Genève, Lyon et le sillon alpin, et d'autre part le Valais et ses au-delà italiens.

L’itinéraire par le sud du lac offre des réductions de distances notables depuis l’ouest vers le Valais

 Qu'on en juge. Le linéaire ferroviaire Genève-Cornavin-Saint-Maurice affiche 99,78km par Evian et Saint-Gingolph, mais 111,83km via Lausanne et la ligne surchargée du nord du lac, soit pour ce dernier itinéraire un surcroît de distance de 12,05km ou un peu plus de 12%.

 L’avantage est nettement plus net pour les relations au départ d’Annemasse : la distance depuis Annemasse jusqu’à Saint-Maurice est de 83,65km via Saint-Gingolph mais de 127,96km via Lausanne, soit un surcroît de distance par le nord du lac par rapport au sud de 44,31km ou près de 53%.

 Enfin, la distance au départ de Bellegarde - point de passage obligé depuis Lyon, Grenoble et souvent Paris vers la Suisse - jusqu’à Saint-Maurice est de 121,92km via Saint-Gingolph contre 144,99km via Lausanne, soit un surcroît de distance par le nord du lac de 23,07km par rapport à l'itinéraire sud, ou près de 19%.

 De ce fait, des liaisons Lyon-Valais par Saint-Gingolph offriraient un itinéraire plus court de 23,07km par le sud du lac que par le nord, ce qui est loin d’être négligeable, de même que pour les itinéraires en provenance du sillon alpin. L’avantage comparatif est plus net encore pour les liaisons régionales amorcées à Annecy via Annemasse, permettant d’économiser 44,31km comme indiqué précédemment.

Un évitement à mi-parcours pour permettre un cadencement à l’heure dans chaque sens

  L’aménagement de la ligne du Tonkin avec un évitement à peu près à mi-parcours permettrait d'assurer la fluidité d’un trafic cadencé à l’heure, soit une circulation à la demi-heure deux sens confondus. Un évitement à Meillerie, où l’avant-projet prévoit une station, déterminerait deux sections, de 11km depuis Evian et de 7km depuis Saint-Gingolph. La première serait dotée de trois stations intermédiaires - Evian-Est, Maxilly et Lugrin -, la seconde n’en aurait aucune. Les deux stations historiques de Saint-Gingolph (France) et Saint-Gingolph (Suisse) ne sont distantes que de 630 mètres, rendant inutile la réouverture de la station française.

 Depuis le lancement du projet Léman Express, qui s’est concrétisé le 15 décembre dernier, la fréquentation de cette section réouverte est évaluée à quelque 2.000 personnes par jour. Elle pourrait être assurée par prolongation des circulations depuis Saint-Maurice moyennant un coût d’exploitation marginal. Les rames des CFF attendent aujourd'hui 46 minutes à Saint-Gingolph avant de faire leur demi-tour, temps qui pourrait être mis à profit pour couvrir une extension de la course jusqu’à Evian, soit un gros quart d’heure l’aller simple. La capacité maximale théorique serait d'environ quatre circulations par heure et par sens.

 Les courses seraient-elles simplement assurées par des prolongations de la ligne de Saint-Maurice exploitée par RegionAlps, exploitant des trains régionaux valaisans, ou intégrées à la ligne 1 du Léman Express (Evian-Annemasse-Genève-Coppet avec arrêt à toutes les stations) ? Seraient-elles panachées avec des courses Régio-Express Saint-Maurice-Annemasse prolongées jusqu’à leur origine Saint-Maurice via Evian, bouclant ainsi un tour du lac complet ? Il faudrait dans cette dernière hypothèse une mise au gabarit suisse des deux tunnels de la ligne du Tonkin en raison de la hauteur des rames à deux niveaux helvétiques, supérieure à celle de leurs homologues françaises.

On n’en est pas encore là, mais ces réflexions devront entrer dans le projet définitif.

L'autoroute du Chablais, l'A40, en concurrence frontale avec le rail

La relance par l'Etat du projet d'autoroute du Chablais, avec une toute récente déclaration d'utilité publique, vient contrecarrer l'effort considérable fourni, principalement par la Suisse, pour créer le RER Léman Express (notre article du 30 décembre 2019, rubrique Inter-régional) qui relie en particulier Coppet à Evian via Thonon. Cette section autoroutière à deux fois deux voies de seulement 16km, entre Machilly et Thonon, traverserait 15 communes et son coût, un temps évalué à 157 millions d'euros, pourrait, avec la mise en concession décidée en 2014, atteindre les 300 millions d'euros. A près de 19 millions d'euros par kilomètre, on approche le coût d'une ligne à grande vitesse.

 La municipalité de Genève vient de saisir la justice administrative française contre ce projet, dénonçant la concurrence exercée sur Léman Express et ses investissements réalisés majoritairement par l'argent suisse, y compris sur le territoire français. L'autorité plaignante dénonce aussi l'apport de circulation que l'A40 aurait sur les routes de la République et canton de Genève, que le Léman Express est censé soulager de leur thrombose quasi-permante. Toute honte bue, les élus français partisans de l'autoroute, obsédés par le tout-automobile, se déchaînent contre cette supposée ingérence alors qu'ils s'étaient gardés de dénoncer les investissements suisses pour le rail français.

 Pendant ce temps, la ligne du Tonkin attend quelque 125 millions d'euros, soit 2,5 fois moins que les 16km d'autoroute (environ 7 millions d'euros par kilomètre contre 19 pour l'A40), afin d'être refaite à neuf et compléter le Léman Express. Avec de l'argent suisse, probablement...

Association RER Sud-Léman - Liaison ferroviaire Genève-Evian-Valais

Association franco-suisse, créée en 2005, qui milite pour la réhabilitation de la ligne ferroviaire, toujours officiellement ouverte mais interdite à la circulation, qui relie Evian-les-Bains à la frontière suisse, à Saint-Gingolph.

http://www.rersudleman.com

 

 

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Commentaires
E
Train qui fait St gingolphe Evian thonon bon en Chablais annemasse ge eaux vive hopital geneve cornavin. 35.m a 40.m
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J
Article très intéressant !<br /> <br /> <br /> <br /> Selon rersudléman, Évian - St Gingolph prendrait 19 minutes, donc Évian - Bouveret environ 25. Avec 1 évitement, on pourrait au maximum avoir une cadence à la demie heure.<br /> <br /> <br /> <br /> Monthey - Bouveret prend 16 minutes, donc il faudrait sauter des arrêts pour avoir une cadence à la demie heure.<br /> <br /> <br /> <br /> Genève - St Maurice prendrait plus de temps via Évian, car les vitesses sont inférieures (100-115 vs 140-160).<br /> <br /> Mais depuis Annemassse ça serait plus rapide via Évian, depuis Bellegarde je ne suis pas sûr. Je trouverais bien d'avoir une ligne RegioExpress Bellegarde ou Annemassse - Évian - Brig
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P
Je connais bien la ligne Évian-St Gingolph pour avoir souvent empruntée la route qui la longe et, à certains endroit la croise.<br /> <br /> Elle illustre parfaitement la politique ferroviaire française :<br /> <br /> Côté français, elle est abandonnées depuis 80 ans. Côté suisse, elle est exploitée et, mieux, électrifiée.<br /> <br /> Tout est dit....
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Raildusud : l'observateur ferroviaire du grand Sud-Est
  • Le chemin de fer est indispensable à toutes nos villes et ne doit pas être l'apanage de la seule région-capitale. Les lignes transversales, régionales et interrégionales doivent contribuer à une France multipolaire, équitable au plan social et territorial.
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