Léman Express : Genève et la Suisse jouent la puissance intégratrice du rail avec la Haute-Savoie
Une fois passée la crise sociale qui paralyse le réseau ferroviaire français, le RER franco-valdo-genevois Léman Express officiellement mis en service le 15 décembre 2019, donnera sa pleine puissance. Pour la première fois, des territoires français hors Ile-de-France vont bénéficier d’un véritable réseau périurbain cadencé à grande capacité… mais centré sur une ville étrangère, Genève, et au-delà Lausanne. Au total, 230 km de lignes sont concernées et 45 gares, dont 22 en France et 23 en Suisse. Le jacobinisme ferroviaire français n’ayant jamais réussi à concevoir de réseau express régional dans aucune des grandes agglomérations françaises hors Paris - en particulier celle de Lyon, à 168km de Genève – le contraste entre la conception suisse polycentrique et l’exclusivisme français francilien est aveuglant. Le canton de Genève compte 500.000 habitants et sa zone d’influence étendue incluant la France voisine quelque 950.000. La métropole du Grand Lyon compte 1.390.000 habitants.
Une infrastructure nouvelle essentiellement souterraine entre Lancy et la frontière
Carte officielle du réseau Léman Express. Les plans, titres de transport et horaires sont fournis via un site propre, "lemanexpress.ch ou .fr" (lien en fin d'article).
Issu d’un accord passé entre les autorités helvétiques et françaises en 2002, Léman Express est bâti autour d’une infrastructure nouvelle essentiellement souterraine permettant de relier la gare centrale de Genève à Cornavin, sur la rive droite du Rhône, à la gare de Genève Eaux-Vives, désormais souterraine, ancien terminus d’une ligne française en provenance d’Annemasse ouverte en 1888. L’objectif n°1 est le report modal de la route vers le rail des flux considérables de travailleurs transfrontaliers. Notons que cette liaison à travers le canton de Genève relevait d’un très ancien projet de ligne trans-genevoise provenant de Dijon et Lons-le-Saunier remontant à 1881, puis d’une convention restée lettre morte remontant à 1912.
Le cœur du Léman express est le CEVA, la liaison à double voie Genève-Cornavin-Eaux-Vives-Annemasse, soit 16km dont 14km en Suisse, qui permet de diamétraliser des lignes jusqu’ici séparées. De Cornavin à La Praille, où existe déjà une liaison fret et banlieue, les voies sont réaménagées. De La Praille, devenue Lancy-Bachet, à Annemasse, un long tunnel à double voie a été percé avec un franchissement de l’Arve en viaduc entre deux souterrains, jusqu’à Eaux-Vives où une tranchée couverte prend le relais jusqu’à la frontière près d’Annemasse, avant d’atteindre cette gare à l’air libre. Annemasse a vu son plan de voies entièrement repensé, avec un faisceau constitué de voies en alimentation française 25kV 50Hz après section de séparation, et de voies en alimentation suisse 15kV 16⅔ pour les rames helvétiques monocourant assurant des services limités à Annemasse.
Le parc des rames Léman Express est composé de 23 Flirt de Stadler (ci-dessus, photo Wikipedia) et, dans un premier temps, de 17 Regiolis d'Alstom, toutes aux couleurs du réseau franco-valdo-genevois. Des rames à deux niveaux Kiss de Stadler assurent les circulations CFF Regio Express depuis Saint-Maurice et Vevey.
Entre Genève-Cornavin et Annemasse, les stations intermédiaires sont Lancy-Pont-Rouge, Lancy-Bachet, Genève-Champel (qui dessert un important hôpital), Genève-Eaux-Vives, Chêne-Bourg. Lancy-Pont-Rouge et Chêne-Bourg ne sont pas desservies par les rotations Regio-Express des CFF Saint-Maurice/Vevey-Lausanne-Genève-Annemasse, qui sont par ailleurs directes entre Coppet et Genève-Cornavin. Coppet, sur la rive nord-ouest du lac Léman dans le canton de Vaud, est la gare origine-destination des relations omnibus du RER Léman-Express atteignant Annemasse et poursuivant au-delà. La création du Léman Express a nécessité la pose de nouvelles voies d’évitements sur la voie unique, parallèle aux voies directes, dédiée aux omnibus dans la zone urbanisée entre Coppet et Genève-Cornavin, à Mies et Chambésy.
Des courses Léman Express amorcées à Coppet et se développant en bouquet au-delà d’Annemasse
Le CEVA est desservi à horaires cadencés par des courses Léman Express amorcées à Coppet. Elles se développent en bouquet au-delà d’Annemasse à horaires toujours strictement cadencées en direction de :
- Evian, à 39km d’Annemasse (1 train par heure et par sens plus un train supplémentaire toutes les deux heures, ligne 1)
- Annecy via La Roche-sur-Foron, à 57km (1 train par heure et par sens, ligne 2)
- Saint-Gervais via La Roche-sur-Foron, à 65km (1 train toutes les deux heures par sens en semaine, mais avec possibilités d’autres relations par correspondances courtes de 7mn TER-Léman Express à Annemasse, ligne 3)
- Le CEVA voit aussi passer des rotations Coppet-Annemasse (4 trains par heure et par sens , ligne 4)
- et des Regio-Express Saint-Maurice/Vevey-Lausanne-Genève Cornavin-Annemasse à hauteur d’une circulation toutes les 30mn par sens).
Aperçu, sur une partie de la matinée, de l'offre Léman Express pour la section centrale Coppet-Genève-Cornavin-Annemasse. La fréquence, avec cadencement aux minutes strictement identiques pour chaque mission, d'un véritable axe ferroviaire métropolitain. On regrettera le décalage de certaines colonnes horaires sur la section Cornavin-Annemasse.
In fine, la section urbaine genevoise voit passer quelque 9 circulations par sens et par heure en semaine, soit environ une toutes les 7mn, ce qui répond parfaitement à la définition d’une fréquence urbaine de type RER.
Léman Express intègre aussi l’axe Genève-Cornavin-La Plaine-Bellegarde, soit la ligne 5 jusqu’à La Plaine (2 trains par heure en pointe) et la ligne 6 jusqu’à Bellegarde (1 train par heure en incluant les TER), qui sont en correspondance avec le reste du réseau à Genève-Cornavin mais ne sont pas diamétralisées. La section Bellegarde-Genève (hormis les voies parallèles Cornavin-Genève aéroport) est électrifiée sous tension française 25kV 50Hz depuis 2014 après l’avoir été sous tension française 1,5kV depuis 1956 à la suite de Lyon-Bellegarde.
Toutes les relations Léman Express sont en correspondances étroites avec le réseau TPG, tramways, trolleybus et autobus genevois, et avec les réseaux urbains et péri-urbains de la France voisine.
Un contraste saisissant avec les fréquences TER françaises au-delà du périmètre genevois
Pour offrir quelques termes de comparaison, relevons qu’alors que la liaison Regio-Express Vevey-Annemasse est cadencées à la demi-heure (soit quelque 30AR par jour pour 95km) et à l’heure depuis Saint-Maurice (soit 16AR par jour pour 127km), sur le sillon alpin Grenoble-Chambéry-Genève (165km depuis Grenoble, 102km depuis Chambéry), les TER Auvergne-Rhône-Alpes ne proposent que 6 allers-retours quotidiens directs en semaine, avec d’autres relations en correspondance dont certaines partiellement par autocar. Sur l’axe Lyon-Genève (167km), on dénombre 10AR en semaine cadencés (à quelques minutes près…) à l’heure ou aux deux heures.
Fiche horaire (difficilement lisible car comportant de nombreuses exceptions de circulations) Genève/Annecy-Chambéry-Grenoble-Valence TGV-Valence-Ville. Malgré un chapelet de villes et une amélioration récente avec modeste cadencement depuis Annecy, la trame est squelettique depuis Genève malgré ses correspondances vers la Suisse et l'Europe rhénane et malgré les correspondances offertes vers le sud dans les deux gares de Valence (TGV et TER). Evidemment, aucune offre Grandes lignes ou TGV malgré le raccordement ligne classique-LGV à Valence-TGV. Hors des axes radiaux vers l'Ile-de-France, point de salut.
Notons que les métropoles voisines de Genève côté suisse sont dotées de RER telles Lausanne (RER Vaudois), Berne ou Zurich. Côté français outre Lyon qui, on l’a vu plus haut, n’en dispose pas, Grenoble en est aussi privé malgré un réseau ferré irriguant toutes les vallées du Y grenoblois. Comme autour de Lyon, les cadencements TER sont assez honorables autour de Grenoble (Gières-Rives/Saint-Marcellin…) pour une agglomération de « province » française comptant 450.000 habitants (650.000 plus si l’on y agrège Voironnais et Grésivaudan), mais restent très éloignés d’une fréquence de type urbain ou péri-urbain, comme le démontrent la surcharge chronique des voiries rapides voisines.
Saint-Gervais, Evian et Annecy n'ont plus aucune relation TER directe avec Lyon, la capitale régionale...
Il est enfin intéressant de relever deux points. D'abord, la dissymétrie flagrante entre les relations de la Haute-Savoie avec Genève et avec Lyon, capitale de la région Auvergne-Rhône-Alpes et première gare de correspondance de France.
Il n'est pas surprenant que les élus de la vallée de l’Arve, entre La Roche-sur-Foron et Saint-Gervais, aient boudé les cérémonies de mise en service du Léman Express. Si la grève interprofessionnelle sur la réforme des retraites en cours en France peut l’expliquer pour partie, l’absence de toute liaison TER directe Saint-Gervais-Lyon (hormis le samedi et le dimanche... en autocar), explique beaucoup mieux le sentiment de frustration de ces édiles et des populations qu’ils représentent.
Toutes les relations depuis Saint-Gervais vers la capitale régionale sont soumises à correspondances à Bellegarde. Et c'est le même schéma pour les liaisons Evian-Lyon : toutes les relations entre le sud-Léman et la capitale régionale sont aussi soumises à correspondance à Bellegarde ! A Bellegarde, les flux sont concentrés sur les TER Genève-Lyon. Il en va de même pour les liaisons Annecy-Lyon, toutes soumises à correspondances, mais à Aix-les-Bains, le flux étant reporté sur les circulations Chambéry-Lyon, avec simple adjonction d'une liaison directe sans arrêt intermédiaire... par autocar.
Ainsi la Haute-Savoie est-elle reliée par dessertes cadencées directes avec Genève et même avec le seuil du canton de Vaud, mais par aucune relation directe avec Lyon, sa capitale régionale.
Léman Express, un formidable outil d’influence socio-économique
Par ailleurs, le bouclage du contournement sud du lac Léman par la réactivation de la ligne Evian-Saint-Gingolph (18km seulement, en totalité sur le territoire français) reste à l’état de projet malgré le déblocage de 100 millions de francs suisses par la Confédération helvétique pour améliorer les liaisons transfrontalières et malgré les atouts considérables de cet itinéraire, sur lequel nous reviendrons. Faut-il attendre que la Suisse s’empare du dossier et finisse, de cette façon, par piloter le réseau ferroviaire de tout le nord de la Haute-Savoie ? Car in fine, Léman Express est non seulement un formidable outil d’influence socio-économique du canton de Genève, mais plus largement de la Suisse, sur la France voisine.
Il faut ajouter au Léman Express les extensions du tramway genevois vers la France (dernièrement jusqu’à Annemasse), mais aussi l’implantation sur le réseau SNCF de méthodes helvétiques d’exploitation et de commercialisation, ce qui est évidemment positif.
Extension et intensification de l'influence de Genève sur la Haute-Savoie, stagnation - voire régression qualitative - de l'offre intérieure vers Lyon et encore plus vers Grenoble. Les autorités françaises, fussent-elles enfermées dans leur forteresse parisienne, devraient méditer sur le fait que le chemin de fer a historiquement largement contribué à construire les nations modernes. Et qu’il peut aujourd’hui contribuer à les reconfigurer.
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