Dégradations de matériels roulants : la violence visuelle des « tags », écho du délitement social
AGC assurant une mission TER Occitanie pour Alès, novembre 2019, Nîmes-Centre. © RDS
Une nouvelle vague de multiplication des dégradations de matériels roulants frappe de nombreux parcs à la SNCF. Quelques exemples. En Auvergne-Rhône-Alpes, les matériels TER en font les frais. Dans la zone de l’ex-Languedoc-Roussillon, aujourd’hui partie de l’Occitanie, des AGC de Bombardier, âgés de moins de 15 ans, sont maculés de graphismes recouvrant jusqu’aux fenêtres. En Provence-Alpes-Côte-d’Azur, des graffitis au feutre épais maculent des carrossages intérieurs de TER à deux niveaux.
Voiture Corail assurant un TER Annecy-Valence-Ville en Auvergne-Rhône-Alpes, novembre 2019, Grenoble. © RDS
Cette épidémie, qui dure depuis un quart de siècle et semble connaître un regain, est favorisée dans certaines régions par un manque évident de surveillance du matériel au garage. Le faisceau de Nîmes-Courbessac, a vu les nombreuses rames « Z2 » (Z7300/Z7500) garées en attente de ferraillage alors qu’elle ne sont âgées que d’environ 35 ans, submergées de peinture à la bombe, donnant aux voyageurs des TGV, TER et Intercités passant à proximité un image désastreuse du monde ferroviaire.
Car ces graffitis très grands formats revêtent deux caractéristiques.
D’abord, ils signent l’absence de contrôle des exploitants sur leur matériel, donc sur leurs emprises. L’autorité assurant la protection d’un bien commun – et, en l’occurrence, une propriété publique – est défaillante. Il en résulte un sentiment d’insécurité pour les clients-usagers, voire une dégradation des conditions de transport quand les baies vitrées sont opacifiées. Le citoyen-usager, quant à lui, sait que le coût de la remise en état du matériel qui le transporte amputera d’autant les capacités financières d’un service de transports à la collectivité qui peine déjà à maintenir en service les lignes sur lesquelles il circule.
La signature, dont le sens n'est connu que de l'auteur, impose son individualité sur un matériel public financé par l'usager et le contribuable. © RDS
La seconde caractéristique de ces « tags » invasifs est le sens – ou l’absence de sens – qu’ils véhiculent. On a connu les inscriptions syndicales ou politiques sur les piles de ponts ou les murs de soutènement à proximité des gares. Invasives elles aussi, elles portaient un message faisant sens, participant à un débat ou un conflit d’idées ou d’intérêt. Suscitant l’accord ou le désaccord, elles s’inscrivaient dans un cadre social ou politique, renvoyaient aux événements collectifs d’une société constituée. Le graffiti actuel est une manifestation individuelle, manifestant la solitude d’égos hypertrophiés qui prétendent soumettre l’espace public à leurs signatures absconses et caricaturales. Nul autre message que la prétention de soi, exprimée par des lettrages torturés et démesurés. La même dérive que celle de ces individus qui par leurs violences perturbent le séjour des voyageurs dans le transport public.
Voiture Corail à l'Intercités Marseille-Toulouse, août 2019, Marseille-Saint-Charles. © RDS
La protection des matériels relève donc, de la part de l’exploitant, d’une mesure d’économie comme d’une mesure de protection de sa clientèle, protection physique et psychologique. Car le client présage que si des individus peuvent saccager graphiquement le matériel qui le transporte, il n’y a pas de raison pour que d’autres ne viennent pas l’agresser physiquement.
Grand ou petit format, le tag illustre la perte de contrôle de l'entreprise publique sur son propre bien. © RDS
Montpellier-Saint-Roch, décembre 2019. "Klar" a choisi d'empêcher les voyageurs de voir le paysage qu'ils traversent. © RDS