La réouverture au service voyageurs  de la partie méridionale de la ligne de la rive droite du Rhône (ligne Givors-Canal-Grézan) fait l’objet d’une concertation  du 13 novembre au 14 décembre suite à la relance du projet par la région Occitanie avec SNCF Réseau. Il s’agirait de faire circuler des TER Occitanie entre Pont-Saint-Esprit (Gard), Villeneuve-lez-Avignon, Avignon-Centre (Vaucluse) et Nîmes-Centre (Gard). Ce nouveau service consisterait dans un premier temps en environ huit allers-retours quotidiens Pont-Saint-Esprit-Nîmes-Centre, la plupart avec rebroussement à Avignon-Centre.

TER Occitanie à Avignon-Centre et TGV Paris-Miramas. Cl. RDS

 Il s’agit de la relance d’un projet ancien, puisque les premières études avaient été  menées en 2007 par la région Languedoc-Roussillon, avant d’achopper sur le devis de réalisation et d’être gelées en 2013. Aujourd’hui, cette remise en service est l’objet d’un véritable engagement politique de l’exécutif régional occitan suite aux Etats généraux du Rail et de l’Intermodalité réalisés en début de mandat (2016) par la majorité aux commandes à Toulouse. Au point que la présidente du Conseil régional Carole Delga (PS), a fermement apostrophé le président de SNCF Réseau en juillet dernier, exigeant un raccourcissement du calendrier.

Fortes contraintes réglementaires et adaptations aux voyageurs reculent la mise en service

 De fait, les différents paliers réglementaires et techniques  font tourner la tête : trois ans pour les études préliminaires et la concertation préalable ; 18 mois pour les études d’avant-projet ; deux ans pour les études fines et la passation des marchés ; deux ans pour les travaux. Un menu assez incompréhensible alors qu’il s’agit de doubles voies électrifiées, à la signalisation moderne, parcourues au mieux par une vingtaine de trains de fret par jour et par sens, parfois par cinq ou six. En quoi une étude d’impact  complète serait-elle nécessaire pour y ajouter quelques circulations légères de TER ?

 Si l’on respectait le calendrier le plus chargé, la région Occitanie ne pourrait guère compter sur une mise en service avant environ sept à huit ans, soit autour de 2026-2027 ! Une simplification du programme d’aménagements, un phasage, un amaigrissement des adaptations des passages à niveau, pourraient réduire les délais, au grand soulagement de la région Occitanie et des populations de cet important bassin qui étouffent dans la circulation routière le long de voies ferrées parfaitement équipées mais bien peu utilisées.

 Certes, les travaux à engager sont conséquents, pour un devis s’échelonnant entre 84 et 109 millions d’euros selon la documentation fournie par la région Occitanie et SNCF Réseau. Il faut principalement adapter quelques passages à niveau à une hausse de la vitesse de fond, en particulier le PN38 de Laudun-L’ardoise classé à risques mais qui fait de toutes façons l’objet d’un projet de requalification. Il faut aussi équiper huit des dix futurs points de desserte d’abris, de passerelles, de tableaux d’information dynamique, de rampes pour PMR, de mise aux normes des quais (hauteur, sols, bandes podotactyles….) sur 150mètres de longueur, de parcs de stationnement et éventuellement de quais pour autobus en correspondance. Il convient enfin d’installer à Pont-Saint-Esprit, dont la gare n’offre que deux voies passantes à quai, une voie de retournement en cul-de-sac à quai doublée d’une voie de service, côté sud, ainsi que leurs communications avec les voies principales.

Villeneuve-lez-Avignon. Quais à refaire, passerelle à installer... Cl. RDS

 Les nouveaux points de desserte sont, du nord au sud : Pont-Saint-Esprit  (dont la gare est située à quelque 7km de la gare TER de Bollène-la-Croisière de l’autre côté du Rhône), Bagnols-sur-Cèze (cité réputée pour ses interminables bouchons routiers), Laudun-L’Ardoise, Roquemaure, Villeneuve-lez-Avignon (dont la correspondance avec la ligne 5 du réseau urbain du Grand Avignon devra être fortement améliorée), Aramon, Remoulins (à 5,4km du Pont du Gard, gare de laquelle se détache une antenne fret jusqu’au célèbre aqueduc, section de l’ancienne ligne charbonnière du Martinet à Beaucaire), Marguerittes (banlieue est de Nîmes).  Aucun des bâtiments voyageurs anciens ne serait réutilisé malgré leur importance dans les paysages urbains, indiquent les auteurs du projet.

Un bassin de 683.000 habitants et 281.850 emplois, en forte croissance

 La distance Pont-Saint-Esprit-Nîmes est d’un peu moins de 84km. Il faut ajouter environ deux fois 3,2km parcourus pour la plupart des futures circulations TER qui desserviront Avignon-Centre en rebroussement, via le triangle situé à proximité immédiate de la station de Villeneuve-lez-Avignon, côté sud. Le parcours Nîmes-Centre-Pont-Saint-Esprit via Avignon-Centre affichera donc  quelque 90km. Dans l’état actuel des prévisions – et des financements -, on compterait 7AR via Avignon-Centre, 1AR Pont-Saint-Esprit-Nîmes-Centre sans passage à Avignon-Centre et 1 aller simple Nîmes-Centre-Avignon-Centre. Le temps de parcours de bout en bout via Avignon-Centre s’établirait à 1h20mn. Il serait de 35mn entre Avignon-Centre et Pont-Saint-Esprit alors que le temps de parcours par la ligne 122 des autocars du réseau LiO-Gard est actuellement d'environ 1h25mn pour la même distance. Le gain de temps par fer serait donc considérable.

 Cette liaison nouvelle concerne un bassin de quelque 683.000 habitants et 281.850 emplois. La croissance de la population gardoise entre 2009 et 2014 s’est établie à 5% par an et celle du nombre d’emploi à 4% par an. L’est du département du Gard (le « Gard rhodanien ») constitue le deuxième pôle industriel de la région Occitanie après le bassin toulousain. Il abrite en particulier Sanofi à Aramon, le centre de recherche et production nucléaire de Marcoule près de Bagnols-sur-Cèze (production du Mox, traitement de déchets…) qui emploie 5.000 personnes. On peut s’étonner qu’alors que les autorités s’emploient à terminer avant le JO de 2024 pour plusieurs dizaines de milliards d’euros de lignes nouvelles de métros et RER en Ile-de-France, elles ne marquent pas plus d’empressement à rétablir un équipement minimum de transport ferroviaire entre Gard et Vaucluse.

La rive droite du Rhône, une ligne ouverte aux voyageurs jusqu’en 1973

 D’autant que jadis ce service existait. Certes assez archaïque et peu fréquent, mais son maintien et sa modernisation progressive eussent évité les atermoiements actuels.

 La ligne concernée par ce projet de réouverture, et bien au-delà, fut desservie par des circulations voyageurs  depuis sa mise en service en 1880, jusqu’à 1973. La dernière circulation d’un autorail Lyon-Perrache-Nîmes via la rive droite du Rhône, le 6 août 1973, fut l’occasion d’une des premières manifestations de protestation, relayée par la presse, contre la fermeture d’une ligne aux voyageurs alors que le réseau ne cessait de se contracter depuis la fin des années 1930.

Réseau ferré autour de 1934. Doc. RDS

 La ligne de la rive droite du Rhône n’a pour autant jamais connu une activité régulière voyageurs très soutenue. Elle sert depuis toujours d’itinéraire de détournement de sa sœur de la rive gauche, avec plusieurs jonctions franchissant le Rhône : Givors-Chasse, Peyraud-Saint-Rambert d’Albon,  La Voulte-Livron,  Villeneuve-lez-Avignon-Avignon. Elle a été l’axe sur lequel s’embranchaient des lignes vers l’Ardèche et le Gard :

-          à Peyraud vers Annonay, Dunières et Firminy (Peyraud-Annonay fut fermée aux voyageurs en 1958) ;

-          à Tournon vers Lamastre (et Le Cheylard) et à La Voulte vers le Cheylard (CFD du Vivarais à voie métrique), lignes fermées en 1968 avec maintien d’une section touristique ;

-          au Pouzin vers Privas, fermée aux voyageurs en 1938 ;

-          au Teil vers Vogüé (Robiac, Alès/Lalevade d’Ardèche et L’Argentière), réseau fermé aux voyageurs du Teil à Vogüé et Robiac en 1969, de (Bessèges) Robiac à Alès en 2012 ;

-           à l’Ardoise vers Celas et Alès, fermée aux voyageurs en 1938 ;

-           à Remoulins vers Uzès et Le Martinet au nord et vers Beaucaire au sud, fermée aux voyageurs en 1938.

A l’horaire 1956, la ligne de la rive droite du Rhône était parcourue chaque jour par :

-          Deux allers-retours Lyon-Perrache-Givors-Le Teil-Pont-Saint-Esprit-Bagnols sur Cèze-Villeneuve-lez-Avignon-Nîmes en 4h25mn au mieux et Pont-Saint-Esprit-Nîmes en 1h23mn, section déjà doublée par un service routier ;

-          Un AR (Valence) La Voulte-Le Teil (Vogüé, Lalevade d’Ardèche) ;

-          Un AR Lyon-Perrache-Givors-Peyraud en 1h23mn ; plus un autre AR les dimanches ;

-          Trois AR Avignon-Villeneuve-lez-Avignon-Remoulins-Nîmes en 1h05mn au plus avec rebroussement à Villeneuve-lez-Avignon. Le service offrait donc 5AR Villeneuve-lez-Avignon-Nîmes par jour, les trains Lyon-Nîmes effectuant Villeneuve-lez-Avignon-Nîmes en un temps variant entre 44mn et 54mn.

L’insertion du futur service dans le réseau actuel, de forts atouts et quelques limites

 Le parti du projet de réouverture consistant à faire transiter la plupart des rotations Pont-Saint-Esprit-Nîmes par Avignon-Centre s’appuie sur le fait qu’Avignon-Centre représente un noeud ferroviaire encore important malgré le report de la plupart des circulations TGV en transit à la gare d’Avignon-TGV, très fréquemment reliée par TER depuis Avignon-Centre (mais impliquant une correspondance supplémentaire pour la clientèle venant de la rive droite du Rhône). Avignon-Centre est au coeur d'une agglomération attractive pour une vaste région et est desservie par le nouveau tramway et la plupart des bus urbains.

Avignon-Centre offre en propre seulement trois circulations TGV de et vers Paris par la vallée du Rhône avec entrée sur ligne à grande vitesse à proximité de Valence.  La totalité des flux TER passe par Avignon-Centre, offrant des correspondances sur Orange et au-delà, Carpentras, Cavaillon, Arles, Miramas et Marseille, et par TER Occitanie vers Tarascon, Nîmes-Pont-du-Gard, Nîmes-Centre et au-delà.

 Notons que sur la liaison Avignon-Nîmes de centre ville à centre ville, le parcours par la rive droite du Rhône affiche 47,5km contre 49km par Tarascon. Le futur service, en ajoutant entre les deux préfectures 7AR TER via Remoulins aux actuels 16AR TER via Tarascon (à supposer que cette fréquence, au cadencement assez remarquable, soit maintenue), porterait le total des relations à environ 23AR quotidiens. De quoi peut-être améliorer les liaisons ferroviaires entre l'Occitanie et la rive gauche du Rhône au nord d'Avignon qui pâtissent aujourd'hui de correspondances extrêmement dissuasives (notre article du 26 septembre 2019).

AGC TER Occitanie à Nîmes-Centre. Une gare au plateau exigu (4 voies à quai). Cl.RDS.

 Côté Nîmes-Centre, le bilan probable de ces futurs services semble plus contrasté en raison de la dissociation du flux TGV entre deux gares distantes de 14km.  Les trains provenant de la rive droite du Rhône offriront de belles correspondances par TER Occitanie vers Montpellier, Alès et leurs au-delà, et Le Grau-du-Roi. Mais il faudra aussi une correspondance TER supplémentaire – et nettement plus longue et moins fréquente qu’entre  Avignon-Centre et Avignon-TGV – pour accéder aux désormais nombreux TGV transitant par la gare de Nîmes-Pont-du-Gard et le CNM. Classique inconvénient des gares TGV sur lignes nouvelles dissociées des nœuds ferroviaires.

De belles perspectives inter-régionales côté nord si Le Teil-Valence est rouvert

 Côté nord, la limitation du service à Pont-Saint-Esprit répond à des considérations financières mais aussi politico-administratives puisque Le Teil (Ardèche), à seulement 28km au nord du futur terminus est en territoire Auvergne-Rhône-Alpes. Or Le Teil est l’origine d’un projet de réactivation d’une section de la rive droite du Rhône par TER Le Teil-La Voulte-Livron-Valence-Ville-Valence-TGV-Romans-Bourg-de-Péage. Même si ce projet est moins avancé que celui de la région Occitanie, sa réalisation imposerait logiquement une jonction avec le futur TER Occitanie. D’autant que les emprises de la gare du Teil, ancienne jonction avec le réseau ardéchois, sont largement dimensionnées. Une liaison étendue de Pont-Saint-Esprit au Teil permettrait de desservir Bourg-Saint-Andéol et Viviers et ouvrirait le Gard rhodanien vers le nord : outre l’Ardèche du sud-est, Valence, ses deux gares et leurs correspondances vers Lyon, Paris, les Alpes du Nord, la vallée de la Drôme.