Valence-TGV : cette voie Alpes-Méditerranée qui a coûté 40 millions et ne sert plus à rien
C’est peu dire que les concepteurs successifs des lignes à grande vitesse françaises n’ont pas brillé par leur souci d’intégration de celles-ci au réseau classique, pleins de leurs concepts d'une "multimodalité" qui n’a été trop souvent que le cache-sexe de la régression du ferroviaire classique. Les exemples criants des gares nouvelles isolées du Creusot-Montchanin, de Mâcon-TGV, de Picardie-TGV, de Montpellier-Sud-de-France et autres Lorraine-TGV l’illustrent abondamment. Les liaisons LGV-ligne classique de Tours-Bordeaux, axe heureusement dépourvu de gares nouvelles excentrées, forment l’exception qui confirme la règle.
Sur la LGV Méditerranée (LN5), Valence-TGV a été heureusement située à l’intersection de la ligne classique du sillon Alpin Valence-Grenoble-Chambéry-Genève/Annecy, suite à la pression des collectivités locales et contre la volonté de la SNCF d’alors de la placer au croisement d’une autoroute du secteur.
A Valence-TGV, la ligne classique, récemment électrifiée, est dotée d’une station (deux voies courantes à quai numérotées 1 et 2, avec réserve pour une troisième) en surplomb de celle dédiée à la ligne nouvelle, en tranchée (deux voies passantes et, à l'origine, deux voies à quai numérotées 3 et 4). Un quasi-miracle, même si le cheminement entre les deux paires de quai a été conçu pour allonger au maximum le parcours du voyageur en correspondance.
Une miraculeuse voie unique de raccordement ligne classique-LGV
Mieux, en 2014, une miraculeuse liaison à voie unique de 2km environ fut mise en service pour relier la ligne nouvelle à la ligne classique, élément du projet initial de la LGV Méditerranée qui avait été reporté pour raisons budgétaires.
Cette voie unique de raccordement se détache de la ligne classique côté Romans-Bourg de Péage pour rejoindre le niveau inférieur réservé à la grande vitesse, avec une troisième voie à quai (voie 5) posée pour l’occasion sur un emplacement réservé dès l’origine côté est (sens nord-sud). A l’entrée nord de la station inférieure, cette voie unique est dotée d’une jonction permettant aux trains de rejoindre aussi la voie à quai initiale nord-sud (voie 3).
Cette heureuse création a coûté 40 millions d’euros. Si l’espace pour la voie 5 était réservé dès l’origine, il a fallu crée un long déblai entre la ligne à grande vitesse et la ligne classique, poser des liaisons sur cette dernière pour permettre le passage de circulations de et vers la LGV dans les deux sens avec cisaillement de la voie opposée dans le sens Grenoble-Valence-TGV, poser la voie dans la gare au niveau inférieur, équiper les quais, adapter la signalisation… Un bel investissement qui suffirait à rénover quelques lignes « de desserte fine » pour les sauver de la fermeture.
Deux paires de TGV hebdomadaires Alpes-Marseille, puis plus rien
Or, malgré tout cela, le tropisme jacobin français a trouvé le moyen de rendre inopérante cette liaison dédiée au trafic inter-régional à grande vitesse Alpes-du-Nord-Méditerranée. D’abord en ne créant pas de saut-de-mouton côté sud afin d’éviter le cisaillement de la voie à grande vitesse nord-sud par les TGV sud-nord destinés à emprunter le nouveau raccordement. Ensuite, côté commercial, en ne créant qu’un service étique entre les Alpes du Nord et Marseille : SNCF Mobilité n’a jamais fait circuler que deux allers-retours hebdomadaires entre Annecy et Marseille, avant de les supprimer en plein service annuel l’année dernière. Un projet de TGV/TER régionaux a capoté. Les utilisateurs du train entre le chapelet de villes des Alpes du Nord et celui de la façade méditerranéenne, soit quelques millions d’habitants au passage, sont priés de changer de train, avec des attentes variant de 15 à 60 minutes pour les liaisons de et vers le Languedoc.
On voit même des itinéraires Grenoble-Nice très souvent proposés via Lyon, soit un parcours Grenoble-Lyon + Lyon-Valence TGV de 236km en quelque 2h15mn (en comptant le temps de changement à Part-Dieu), au lieu du seul parcours Grenoble-Valence TGV de 89km en une petite heure (et moins si les TGV directs circulaient). Notons encore qu’aucun TGV Alpes du Nord-Languedoc n’a jamais été proposé. Les Savoyards et Dauphinois n’ont apparemment aucune envie d’aller passer du bon temps dans les stations balnéaires du Languedoc, de Port-Camargue, du Barcarès, de la Grande-Motte ou du Cap d’Agde, ni les Languedociens d’aller dans les Alpes, pourtant voisines ! Sans parler des voyages d'affaires ou familiaux, car on travaille et on communique aussi entre ces régions.
Une voie 5 qui ne sert plus à rien, même pas accessible depuis la LGV côté nord !
Pour couronner le tout RFF, alors en charge du réseau, a fait en sorte que la voie 5 du plateau grande vitesse de la gare de Valence-TGV ne soit pas accessible depuis la ligne à grande vitesse côté nord. En d’autres termes, cette voie 5 qui constitue une deuxième voie à quai du sens nord-sud, ne peut être empruntée que par les TGV en provenance du raccordement issu de la ligne classique Grenoble-Valence, et ne peut pas l’être par ceux provenant de Lyon ou d’Ile-de-France. Comme plus aucun TGV ne circule de et vers les Alpes du Nord, cette voie 5 ne sert donc plus à rien (sauf trains de travaux basés à Romans…). Un sommet.
L’installation d’une liaison depuis la voie 3 vers la voie 5 en amont des quais du plateau inférieur de Valence-TGV permettrait pourtant de réguler le trafic nord-sud en cas de perturbations en ouvrant la possibilité de faire stationner deux rames en gare. Or aujourd’hui, si un TGV est désheuré ou retenu à Valence TGV, le suivant immédiat doit stationner en pleine voie en amont. Le stationnement de deux TGV nord-sud à Valence-TGV est interdit (sauf utilisation rarissime de la voie à quai n°2 sud-nord, mais on imagine le conflit).
Certes l’installation de la liaison susmentionnée imposerait un croisement à niveau de la liaison depuis le raccordement de Grenoble vers la voie 3 (nos photos). Elle devrait composer avec une géométrie assez peu favorable, la voie 5 étant en légère courbe opposée. Mais elle ferait cesser cette absurdité qui veut qu’aujourd’hui la voie 3 comme la voie 5 soient accessibles par des TGV en provenance de Grenoble qui ne circulent plus alors que la voie 5 n’est pas accessible par des TGV en provenance de Lyon et d’Ile-de-France qui, eux, circulent bien.