Durovray, ministre des Transports : pour la province, les cars plutôt que le rail ?
Premières déclarations du ministre, premières inquiétudes pour le transport ferroviaire... et priorité à la route sur le mode cars Macron appliqués aux agglomérations de « province ». Face aux investissements demandés par le rail pour rénover et développer ses capacités et au regard de la situation budgétaire de la France, le nouveau ministre délégué aux Transports François Durovray, a estimé que les cars express peuvent suffire à répondre aux besoins, en particulier pour les déplacements du quotidiens. La priorité à l’ossature ferroviaire des Services express régionaux métropolitains est-elle condamnée ?
Refus que le fer « impacte le budget de l’Etat », les 100 milliards promis sont menacés
« Il faut que sur les infrastructures les plus lourdes le fer, qui engage pour des dizaines et des dizaines d’années, on ait une feuille de route qui n’impacte pas le budget de l’Etat comme il l’a impacté auparavant », a asséné M. Durovray, élu d’Ile-de-France, sur France Bleu Alsace, semblant douter de la promesse des 100 milliards d’euros énoncée par Elisabeth Borne pour la rénovation et l’extension du réseau qu'il a jugée fragile.
Investissements dans le réseau ferroviaire dans les pays de l'Union européenne. Pourtant, le ministre délégué aux Transports privilégie d'entrée les cars express plutôt que le train.
De son côté, le PDG du groupe public SNCF Jean-Pierre Farandou, a déclaré que pour l’entretien du réseau, il va accroître l’apport au fonds de concours « de 2,3 milliards d’euros » entre 2024 et 2027 par rapport à ce que prévoyait la loi de réforme ferroviaire de 2018, tout en estimant « qu’il faudra mettre 1,5 milliard d’euros supplémentaires chaque année dans l’entretien du réseau à partir de 2027 ». Rappelons que la France est le pays qui, par habitant, investit le moins en Europe dans son chemin de fer.
Répondant indirectement à ces demandes, le nouveau ministré délégué juge que « l’enjeu, c’est d’investir de façon plus importante et de façon plus durable pour l’ensemble des mobilités du quotidien ». Il poursuit, tournant autour du pot : « la responsabilité en tant que ministre des Transports, c’est de faire émerger de nouveaux modèles. Il y a énormément d’expériences qui remontent du terrain et il faut que nous donnions aux élus locaux les moyens de créer de l’offre de mobilité ».
Les « nouveaux modèles » du ministre : sur la route
On en arrive au verdict : « On a parlé des trains, mais je pousse beaucoup pour des solutions routières par cars qui sont faciles à mettre en œuvre, qui sont beaucoup moins coûteuses. Un car express, c’est jusqu’à dix fois moins de CO2 que les voitures et c’est jusqu’à dix fois moins cher pour les usagers qui l’empruntent ».
Le ministre délégué poursuit : « Les cars express, c’est un temps de parcours optimisé grâce à des aménagements assez simples de voies réservées et de gares routières. Donc, c’est au final du temps rendu à nos concitoyens qui aujourd’hui sont parfois dans les embouteillages et qui demain, dans un car, peuvent travailler, lire, se divertir, se reposer ».
« La route a la capacité de décarboner les mobilités »., a-t-il insisté deux jours plus tard, tout en admettant devant la levée de boucliers que « le fer doit évidemment rester au centre de toute stratégie ».
Les cars express existent déjà, et parfois sur voies réservées, et répondent à des marchés de niche tels le contournement du sud de la Chartreuse entre Voiron et la silicone vallée de Crolles, via Grenoble, dans l’Isère. Mais ils ne peuvent échapper au principe séculaire selon lequel « le rail rassemble, la route disperse ». Et cela même pour les cars.
Troisième voie réservée aux autocars et autobus sur la voie express à l'entrée nord-est de Grenoble. Cette voie réservée a été gagnée par la suppression de la bande d'arrêt d'urgence et une légère réduction de la largeur des bandes de roulement, imposant une stricte limitation de vitesse. ©RDS
Il suffit de concevoir que l’autocar ne peut en général dépasser la vitesse du train qu’en effectuant sur autoroute une liaison point à point sans (ou presque) d’arrêts intermédiaires. Dès que l’autocar entend desservir les mêmes localités que le train, son temps de parcours dépasse celui du rail puisqu’il lui faut se détourner des voiries principales pour pénétrer dans le cœur de l’agglomération. Sauf « griller » ladite agglomération en laissant ou prenant les passagers en bord de route dans une zone commerciale par exemple.
François Durovray a effectué une mission sur les « cars express »
François Durovray (ex-LR, passé chez Xavier Bertrand) avait été missionné par la présidente du conseil régional d’Ile-de-France pour étudier « le développement des lignes de cars express en Ile-de-France ».
Pour l’instant l’Ile-de-France, dont M. Durovray est un élu de longue date, président du conseil régional de l’Essonne depuis 2015, se dote bien plus que des « cars express » : un méga-métro périphérique Grand Paris Express dont la facture finale avoisinera probablement la somme phénoménale de 50 milliards d’euros, et une extension coûteuse du RER E.
M. Durovray, voit-il fleurir les cars express autour de Toulouse ou Montpellier, aux autoroutes surchargées, à Marseille qui s’en est dotée de longue date entre la gare Saint-Charles et Aix-en-Provence malgré l’embolie des voies autoroutières, à Toulon pressée d’obtenir un service ferroviaire cadencé est-ouest sur l’infrastructure existante, à Nice qui étend son réseau de tramways faute de routes et d’autoroutes fluides, à Lyon où la route de Craponne (ouest lyonnais) est paralysée chaque matin et soir, à Grenoble où les élus tentent d’obtenir enfin des investissements pour l’amélioration des noeuds ferroviaires, à Saint-Etienne où les cars TER ralliant Boën par Montbrison affichent, à desserte égale, 1 h 22 mn de temps de parcours contre 52 mn par train pour 51 km, un parcours de type grande banlieue ?
Gare routière de Marseille Saint-Charles, dans le prolongement de la gare ferroviaire. Pour un concept réussi, combien d'arrêts en bord de routes ? ©RDS
Le ministre parle « d’aménagements assez simples de voies réservées et de gares routières ». Les observateurs attentifs ne peuvent qu’être stupéfaits de tels propos de la part d’un élu supposément spécialiste de la question. L’aménagement « assez simple » de voies réservées sur autoroutes se heurte à de multiples obstacles. D’abord celui de la sécurité si l’on entend consacrer la bande d’arrêt d’urgence au transport public. Ce type d’affectation ne peut guère se concevoir que sur de courtes distances et en imposant une limitation de vitesse sur l’ensemble de la voirie.
L’autre possibilité est d’élargir l’autoroute ou la voie express de voies supplémentaires de part et d’autre. On se heurte alors aux exigences de l’Etat et à des considérations financières avec des coûts qui s'envolent (acquisitions foncières, traitement des bretelles d'accès, réseaux, etc...). A l’entrée nord-ouest de Montpellier, le projet de création d’une voie supplémentaire dans le sens de l’entrée vers la ville sur moins de 2 km, porté par le conseil départemental, fut retoqué par le direction des routes de l’Etat au prétexte de problèmes hydrauliques.
Vitesse maximale d’un train : jusqu'à 160 km/h ; d’un autocar sur autoroute : au plus, 100 km/h
On relèvera par ailleurs que si la vitesse d’un train TER peut atteindre 160 km/h, celle des autocars est limitée à 80 ou 90 km/h hors agglomération (70 km/h en cas de passagers debout), 90 km/h sur les voies rapides et 100 km/h sur autoroute s’ils sont équipés de système de freinage ABS. La ceinture de sécurité est obligatoire si le véhicule en est équipé.
L’argument selon lequel dans l’autocar « les passagers peuvent travailler, lire, se divertir, se reposer » paraît particulièrement spécieux au regard de la dégradation du confort par rapport au train (rayons de courbures de la voirie, ronds-points, dégradation des revêtements, accélérations et décélérations…) et au regard de l’exiguïté des sièges et de la densité de l’occupation : une soixantaine de personnes au grand maximum (strapontins inclus) dans un autocar monocaisse de 13 m de longueur, aucun passager n’étant admis debout, sécurité sur route oblige.
Rame TER intervilles Annecy-Valence Ville à Valence TGV. Ce train de 7 voitures de 88 places assises chacune en 2e classe, offre quelque 600 places, soit l'équivalent de dix autocars de 60 places assises. Et dans des conditions de confort très supérieures, malgré leur âge et leur entretien minimal côté voyageurs. ©RDS
Quant à l’argument des gares routières, il laisse pantois quand on sait que pour les « cars Macron » lancés par l’ex-ministre de l’Economie de François Hollande, devenu par la suite président, la question de l’absence ou de l’insuffisance des gares routières se pose toujours neuf ans après leur instauration… pour des raisons financières (acquisitions foncières en zones dense, construction, etc…).
On signalera enfin que le technique routière, contrairement au ferroviaire qui permet la constitution de rames grâce au parcours monotrace, ne permet pas d’augmenter la productivité parallèlement à la hausse de la fréquentation. Tous les 60 passagers, l’exploitant d’autocar doit ajouter une voiture et son conducteur.
La vive réaction de Carole Delga, présidente d’Occitanie et de l’Association des régions de France
La déclaration très « pro-route » du ministre délégué aux Transports a fait réagir Carole Delga, présidente (PS) du Conseil régional d’Occitanie et présidente de l’association Régions de France : « J’ai appris que le ministre des Transports préférerait investir dans les cars plutôt que dans le train pour ‘’faire des économies’’. Ce n’est pas sérieux. S’il y a bien un secteur où il faut un choc d’investissement, ce sont dans les transports décarbonés : le train en priorité, pour le climat, l’emploi et le pouvoir d’achat ».
« La France investit deux fois moins dans le rail que l’Allemagne », a encore asséné Mme Delga, dont le mandat se distingue par des investissements croisés région-Etat-SNCF Réseau, dans la rénovation et la réouverture de lignes régionales TER sur infrastructure existante (rive droite du Rhône) ou sur voies neutralisées (Montréjeau-Luchon, Alès-Bessèges, Carcassonne-Quillan).
Rame ZGC Occitanie en gare de Millau (Aveyron), sur la ligne Béziers-Neussargues. Si les éventuels autocars directs de substitution empruntant l'autoroute partiellement parallèle A75 affichent un temps de parcours inférieur entre Béziers en Clermont-Ferrand, leur temps de parcours explose dès qu'il s'agit de desservir les agglomérations desservies par le train. Il faut alors les doubler par des cars de desserte fine, rendant la fiche horaire illisible et faisant exploser la facture d'exploitation. La route disperse, le rail rassemble. ©RDS
Pour financer le développement du rail, Carole Delga prône le développement de la Société des grands Projets (ex-Société du grand Paris qui finance et gère le métro Grand Paris Express) et « la fin des concessions autoroutières » pour réorienter leur considérables bénéfices vers le rail.
Depuis deux ans « les régions demandent une remise à plat du système du financement des transports en France, où nous jugeons que la dépense publique pourrait être beaucoup plus efficace », poursuit-elle, « et ça fait deux ans que nous n’arrivons pas à avoir une réunion de travail sur ce sujet avec le ministère des Transports ».
Si la réaction de Mme Delga a été critiquée sur les réseaux sociaux, c’est pour avoir décidé de cofinancer la liaison autoroutière Castres-Toulouse.